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Au début de la journée, il se tient droit et sage devant son pupitre, à la fin il grogne dans le dos des témoins à la barre et alpague l'accusation. A son procès, Eric Dupond-Moretti s'est défendu mardi avec acharnement contre les soupçons à ses yeux "lunaires" de conflits d’intérêts.
Au début de son interrogatoire, le garde des Sceaux commence par prier la Cour de justice de la République (CJR) qui le juge d''imaginer un instant" ce qui lui "tombe dessus" quand il est "choisi" ministre.
Ce "grand bouleversement" en juillet 2020 impose à celui qui était sans doute l'avocat le plus connu de France - notamment pour ses emportements notoires - d'"acheter des cravates", apprivoiser "un monde totalement étranger", composer un cabinet, comprendre une administration "complexe", policer son langage habituellement "fleuri", énumère-t-il.
"J'ai un but, c'est de réussir mon ministère. Le reste je m'en fous", résume le ministre, "pardon de le dire ainsi".
"Ce truc-là, ce machin, il m'est tombé dessus, pas parce que je l'ai voulu. J'en ai hérité parce qu'il avait été initié par ma prédécesseure", Nicole Belloubet, dit-il.
Ce "machin", ce sont des enquêtes administratives qu'il a lancées en tant que ministre de la Justice à l'encontre de quatre magistrats, dont l'ancienne cheffe du Parquet national financier (PNF) Eliane Houlette.
Ces enquêtes visant des juges avec qui il avait eu des différends quand il était avocat lui valent aujourd'hui ce procès inédit pour "prise illégale d'intérêts" - une première pour un ministre de la Justice en exercice.
- "Qu'on m'explique" -
"C'est mon ancienne vie", "le cadet de mes soucis, j'ai mille choses à faire", assure l'ex-avocat vedette aux trente-six de barreau.
Et puis, "quel aurait été mon intérêt, il faudra quand même qu'on m'explique ?", proteste le ministre, alors que le président Dominique Pauthe lui demande plusieurs fois s'il n'a pas vu venir le potentiel conflit d'intérêt.
"Jamais je n'ai demandé à mon administration d'accélérer ou de pousser une procédure, jamais", jure-t-il. Et "personne ne m'a dit +conflit d'intérêt+. Personne".
La parole est donnée au procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz. Lui et le ministre ont plutôt l'habitude de se croiser lors de rencontres institutionnelle mais ici, c'est le haut magistrat qui porte l'accusation.
M. Heitz s'étonne du choix d'ouvrir des enquêtes administratives contre les magistrats du PNF alors que le rapport d'inspection commandé par sa prédécesseure donnait "19 recommandations" pour améliorer ce "jeune parquet" mais "aucune" dans le domaine disciplinaire.
Le ministre élude, s'exaspère, claque les micros en s'éloignant de quelques pas à la fin de ses punchlines: "tout le monde a raison sauf moi là dedans !", "tout à fait extraordinaire !".
Au deuxième avocat général Philippe Lagauche, il lance "ça vous arracherait la bouche de m'appeler M. le ministre ?"
M. Dupond-Moretti rappelle qu'il encourt cinq ans d'emprisonnement. Et commente à la troisième personne du singulier sa propre affaire: "c'est pas rien ce qu'il a fait le garde des Sceaux... très grave".
Avant de lâcher, comme dépité: "il a fait ce qu'il a pu, le garde des Sceaux, dans une période où il ne maîtrisait pas les choses. C'est compliqué pour moi de dire ça mais c'est la réalité, et la seule réalité".
- "Instrumentalisation" -
Peu ému, le procureur général demande si, puisqu'il débutait dans le métier, il n'aurait pas dû privilégier "la prudence" à "l'action". Surtout quand les syndicats de magistrats avaient "d'emblée" pointé un risque de "situation évidente de conflit d'intérêt", note-t-il.
Le ministre riposte. "Et vous, vous portez l'accusation contre moi alors que (l'ex-cheffe du PNF) Eliane Houlette est une de vos amies intimes, vous pensez pas que vous êtes en conflit d'intérêt ?"
"Collègue, pas amie intime", rectifie Rémy Heitz, mais Eric Dupond-Moretti n'écoute plus, maugréant contre les questions "biaisées" et l'"instrumentalisation" de la procédure.
Les auditions des responsables syndicales - à l'origine de la plainte contre lui - ne le calment pas, au contraire.
"C'est très désagréable", finit par lâcher l'ex-présidente du Syndicat de la magistrature (SM) Katia Dubreuil, venue décrire le "déni" du ministre face aux "alertes", et lassée des grommellements dans son dos.
Céline Parisot fait franchement sortir le prévenu de ses gonds. Son organisation, l'Union syndicale des magistrats (USM), avait qualifié la nomination place Vendôme de l'avocat aux relations notoirement exécrables avec la magistrature de "déclaration de guerre".
"Rien de ce que j'ai pu faire n'a trouvé grâce à leurs yeux", "il fallait absolument que je démissionne", s'emporte le ministre, le doigt pointé vers elle.
L'audience reprend mercredi avec l'audition des quatre magistrats visés.
W.Vogt--NZN