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La proposition du nouveau ministre de la Justice Gérald Darmanin d'un isolement renforcé en détention des narcotrafiquants les plus dangereux, réitérée dimanche devant les professionnels du tribunal judiciaire de Paris, est diversement accueillie chez les magistrats et avocats.
"La France est capable malgré les difficultés budgétaires d'isoler les quelques dizaines, la centaine de chefs de réseaux pour donner un signal extrêmement fort et montrer le volontarisme de l'Etat", a assuré le garde des Sceaux à l'issue d'un déplacement au tribunal de Paris.
Pour ce faire, a-t-il développé, il faudra "un renforcement de moyens, un isolement peut-être dans certains centres pénitentiaires particuliers, des brouillages" de téléphones portables dans certaines cellules.
M. Darmanin avait annoncé samedi soir dans une interview au Parisien vouloir instaurer un isolement renforcé des "100 plus grands narcotrafiquants" qui poursuivent leurs activités criminelles depuis leur cellule, "inspiré du modèle appliqué aux plus grands terroristes" incarcérés.
"Je n'ai pas forcément besoin d'un texte législatif pour cela", l'isolement pénitentiaire étant une mesure administrative, a-t-il précisé dimanche lors d'un point presse, sans toutefois détailler l'organisation de ce régime de détention particulier alors que la surpopulation carcérale bat des records avec 80.130 détenus au 1er novembre.
- "Vrai sujet" -
"Avec quelques millions (d'euros) de plus, une bonne organisation, du volontarisme, des fonctionnaires très engagés (...) dans les prochains mois, nous aurons mis hors d'état de nuire des gens qui continuent de semer la mort dans les rues françaises", a promis le ministre.
"On a des détenus dangereux un peu partout. Il faut des établissements spécifiques pour ce type de détenus", a réagi auprès de l'AFP Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO Justice.
Les narcotrafiquants gèrent "tellement d'argent", disposent d'"un tel réseau qu'il faut absolument les isoler, c'est un vrai sujet", ajoute M. Baudin.
Les magistrats spécialisés dans la criminalité organisée réclament eux aussi "un régime pénitentiaire particulier pour les criminels qui, depuis leur cellule, continuent leurs activités criminelles", rappelle l'un d'entre eux, prenant l'exemple du régime spécial instauré par l'Italie pour les mafieux.
"Même si vous placez un brouilleur au pied de la cellule d'un criminel, il trouve le moyen de faire passer ses messages par un autre détenu et en quelques minutes il poursuit ses activités", souligne-t-il.
- "Torture blanche" -
Vouloir un isolement renforcé, "c'est ignorer totalement ce qu'est l'isolement: une torture blanche, une mesure inefficace aux conséquences dramatiques sur la santé physique et psychique des individus", estime au contraire Romain Boulet, président de l'association des avocats pénalistes.
"Cette mesure administrative sera décidée sur la base du renseignement pénitentiaire, une étiquette qui va tomber sur quelqu'un soupçonné d'être un des plus gros narcotrafiquants sans respect de la présomption d'innocence, sans qu'on sache ce qui a présidé à une telle étiquette, et qui sera quasiment impossible à contester", redoute-t-il.
Pour l'avocat Bruno Rebstock, "alors que la situation carcérale n'a jamais été aussi dégradée (...) le nouveau ministre de la Justice n'ambitionne que de recréer sous une autre appellation les quartiers de haute sécurité", abandonnés en 1982.
"A force de s'accoutumer à ces régimes d'exception, on assimile le délinquant de droit commun à des terroristes, auquel on réserve à présent le même sort", soupire le pénaliste Raphaël Chiche.
Le nouveau locataire de la place Vendôme entend également "faire écrouer les personnes condamnées à des peines courtes, voire très courtes dans des lieux carcéraux de quelques dizaines de places maximum".
Ces nouveaux lieux de détention seraient construits rapidement, grâce notamment à un cahier des charges moins strict, a-t-il estimé dimanche.
"Il nous faut des établissements spécifiques, des prisons légères" qui permettraient aux petits délinquants d'exécuter leurs peines "sans être mélangés aux voyous chevronnés", abonde une magistrate.
Mais ces nouvelles prisons devraient être adaptées au profil des détenus, insiste-t-elle. "Il faut penser les murs autour des détenus et non l'inverse. On nous demande de faire des miracles sur les questions d'exécution des peines, de réinsertion et de lutte contre la récidive dans un immobilier carcéral datant du 19e siècle", regrette-t-elle.
Un autre magistrat s'interroge: le garde des Sceaux va-t-il intégrer cette proposition à la loi sur l'aménagement des peines de prison ferme inférieures à six mois ou modifier cette loi ? "Il n'a pas été clair".
S.Scheidegger--NZN