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Aux abords de l'eau fraîche d'une cascade cristalline, la biologiste Andrea Teran lance un eurêka!. Elle tient dans la paume de sa main l'une des deux espèces de grenouilles devenues le centre d'une bataille juridique unique contre l'exploitation minière en Equateur.
Cette scientifique de 37 ans est devenue spécialiste dans l'étude de la fragile existence de la grenouille-fusée résiliente (toujours sans nom scientifique) et de l'arlequin à long nez (Atelopus longirostris), espèce que l'on a cru éteinte depuis 30 ans.
La découverte, il y a quelques années, de ces deux amphibiens qui mesurent au maximum quatre centimètres, est devenue l'argument central pour s'opposer à un projet d'exploitation minière de 4.829 hectares dans une forêt native à Junin, dans la province d'Imbabura, à trois heures et demie au nord de Quito.
Atelopus longirostris est apparue, ou réapparue, pour la première fois en 2016. "C'était une grenouille qui revenait d'entre les morts", explique Andrea Teran que l'AFP a accompagnée lors d'une expédition dans cette zone forestière reculée après des heures de marche.
"Si l'eau est contaminée (par l'exploitation minière), les dernières populations de cette grenouille sont perdues", affirme la biologiste du Centre Jambatu, dédié à la recherche et à la conservation des amphibiens.
- Bataille judiciaire -
L'arlequin à long nez est "éteinte" selon la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Mais les scientifiques ont retrouvé la trace de survivantes dans cette forêt où l'exploitation minière, concédée aux entreprises publiques équatorienne Enami et chilienne Codelco, doit débuter en 2024 pour extraire 210.000 tonnes de cuivre par an.
En Equateur --qui s'est lancé dans l'exploitation minière à grande échelle en 2019-- il existe au moins 12 projets à un stade avancé pour prospecter dans des réserves estimées de quelque 43,7 millions d'onces d'or, 46,156 millions de livres de cuivre et 183 millions d'onces d'argent, selon le cabinet de conseil Grupo Spurrier.
Et la découverte en 2019 d'une nouvelle espèce de grenouille de roche alors inconnue n'a fait qu'accroître la volonté de préserver intact cet habitat forestier, Andrea Teran se muant l'année suivante en fer de lance de la contestation judiciaire pour stopper le projet minier.
Bien qu'un juge lui ait donné raison en première instance, elle a perdu en appel.
Mais la concession minière est également attaquée par un collectif d'habitants de Junin qui dénoncent des manques dans les études d'impact environnemental, notamment l'omission d'un plan de protection des deux espèces de grenouilles, explique l'avocat Me Mario Moncayo, chargé du dossier.
"Il y a tellement d'erreurs", souffle-t-il. "Les droits de la nature ont été violés, de plus les documents n'ont jamais été correctement communiqués aux habitants et il n'y a pas eu de consultation environnementale" avec les villageois, déclare l'avocat à l'AFP dans son cabinet.
Mais le juge n'a lui relevé aucun manque. Il reste désormais un dernier espoir pour les défenseurs des grenouilles avec un appel général qui doit être encore rendu.
Sollicités par l'AFP, les autorités gouvernementales et les représentants de la société minière se sont refusés à tout commentaire.
- Résiliente -
Lorsque les scientifiques du Centre Jambatu ont découvert la nouvelle espèce de grenouille-fusée, ils ont pensé qu'il s'agissait de la "confondante" (Ectopoglossus confusus).
Cependant, une différence anatomique de sa langue et des études génétiques ont permis de déterminer qu'il s'agissait d'une espèce totalement inconnue du genre Ectopoglossus qu'ils ont alors affublée du terme "résiliente".
"Les conditions dans lesquelles elle vit sont uniques, avec le bruit de la chute d'eau, nous ne savons pas quels sont ses mécanismes de communication, nous ne savons pas quelle est sa biologie de la reproduction", explique la biologiste.
Leur peau, qui a un grand potentiel médicinal, les rend extrêmement sensibles aux changements environnementaux. Elles sont donc considérées comme des bio-indicateurs: si l'écosystème est affecté, elles peuvent commencer à disparaître.
L'Equateur, dont la Constitution consacre la protection de la nature, compte 650 espèces de grenouilles répertoriées, dont près de 60% sont en danger ou en danger critique d'extinction. Mais le pays tire des productions pétrolière et minière 6% de son PIB, selon la Banque centrale...
"Nous sommes dans une région mégadiverse et les décisions à prendre doivent être mégaresponsables", estime la biologiste.
A Junin, la polémique divise tout autant les habitants.
Pour Hugo Ramirez, un agriculteur de 40 ans, "si les autorités accordent de l'importance aux espèces qui vivent ici, il faut mettre un terme" au projet minier.
Mais pour Pedro Vallejos, charpentier de 63 ans, les défenseurs de l'environnement ne sont d'aucune force de proposition pour atténuer la pauvreté: "Dans les campagnes, il n'y a pas d'emplois, il n'y a pas d'alternatives".
L.Rossi--NZN