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Comment protéger son patrimoine de la mitraille: deuxième ville d'Ukraine, Kharkiv, soumise quotidiennement aux bombardements russes, a commencé ce week-end à monter des barricades de sable devant ses statues les plus emblématiques.
La plus importante d'entre elles trône au coeur du centre-ville, dans un vaste parc aux arbres centenaires: menton en avant et l'allure conquérante, le poète Taras Chevtchenko est la principale figure du patriotisme ukrainien du XIXème siècle.
Depuis l'indépendance du pays en 1991 avec l'effondrement de l'Union soviétique, pas une ville ukrainienne qui n'ait son avenue ou sa place Chevtchenko, également nom de la plus grande université ukrainienne à Kiev.
Ouvriers et engins élévateurs s'affairent autour de l'imposante statue de fonte noire, haute de 16 mètres selon la mairie, et plus haute sculpture de Kharkiv depuis qu'a été mise à bas celle de Lénine en 1994, sur une grande esplanade voisine.
"Il faut protéger la ville pour que les générations futures la connaissent comme nous l'avons connue", plaide Petro, retraité de 72 ans à la casquette de cuir et aux dents en or, venu participer à l'opération comme "volontaire".
Erigée en 1935, la statue de Chevtchenko est un mixte de réalisme socialiste et de stalinisme baroque, où le personnage central est comme cerné par les soldats révolutionnaires à ses pieds, image du patriotisme ukrainien longtemps bridé par la Russie "frère" sous le régime communiste.
Le socle en grès et les combattants staliniens disparaissent maintenant sous les sacs de sable, qui arrivent déjà à la taille du poète, masquant sa démarche conquérante, mais pas encore son regard farouche et sa moustache tombante.
"Il paraît que pendant la Seconde guerre mondiale, une balle avait ricoché sur sa tête", raconte, sourire en coin, l'une des employés de la municipalité mobilisée pour les travaux.
"A l'époque, la ville avait été ravagée, mais le centre-ville relativement préservé, il n'avait pas été bombardé comme maintenant", s'offusque Volodymyr, un colosse cinquantenaire.
Depuis le début de l'invasion russe le 24 février, Kharkiv est, avec Marioupol (sud), la métropole la plus bombardée. Stationnée à quelques kilomètres, l'artillerie russe bombarde quotidiennement le nord et l'est de la ville, ainsi que son centre historique.
- "Encore mille ans!" -
Plus d'un millier de bâtiments ont été détruits ou endommagés, dans une ville vidée d'environ un tiers de ses 1,5 million d'habitants, selon les autorités locales.
Les édifices publics du centre, abritant administrations et services de sécurité, ont été particulièrement visés.
Ville de culture et d'histoire, Kharkiv compte "une cinquantaine de monuments dressés en l'honneur de ceux qui ont fait la gloire de la ville", et qui seront donc protégés par des sacs de sable, a annoncé la mairie. Et d'ajouter: "nous espérons que ces monuments dureront encore mille ans!"
Il y a les monuments dans le plus pur style soviétique, comme celui qui commémore la "Grande guerre patriotique" ou le "Soldat libérateur". Mais aussi divers mémoriaux, dont celui de Drobytsky Yar, en hommage aux milliers de juifs assassinés pendant la Seconde guerre mondiale. Situé à la limite est de la ville, il a été endommagé dans les combats samedi, a constaté l'AFP.
La muraille protectrice de la statue Chevtchenko quasi-terminée, des dizaines d'employés de la mairie et des volontaires s'activent désormais à disposer des sacs de sable autour du monument de l'Indépendance, une déesse brandissant les lauriers de la victoire, installée en l'honneur de la proclamation de l'indépendance de l'Ukraine le 24 août 1991.
Pour l'instant, on peut toujours lire, gravé en alphabet cyrillique, le slogan que l'on entend désormais partout dans le pays en guerre: "Gloire à l'Ukraine".
"Nous sommes des fonctionnaires et des employés municipaux inoccupés actuellement, la mairie nous a mobilisés", explique une membre du groupe, Ilona Kalachnikova, habituellement affectée aux espaces verts.
"En ce moment, on ramasse surtout les branches et les arbres décapités par les roquettes. Cette année nous ne planterons rien, il n'y aura pas de fleurs", regrette-t-elle. "Ces sacs de sable sont un symbole de notre attachement à notre ville. On peut reconstruire des maisons détruites, mais pas des monuments historiques".
S.Scheidegger--NZN