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A plus de 2.000 km de la guerre en Ukraine, au cœur d'une Normandie paisible, Éric Borney n'aurait jamais cru que sa société fabriquerait un jour un millier de drapeaux ukrainiens en moins de deux semaines.
"D’habitude on fait quatre ou cinq drapeaux ukrainiens dans l’année. Là on est à 1.000 drapeaux fabriqués en 10 jours pour 300 à 400 commandes. Et tous les jours, ça s’accroît", s'étonne encore le président de cette entreprise familiale de 30 salariés installée à Argentan (Orne).
Ses concurrents français, comme Doublet dans le Nord, Manufêtes dans la Drôme ou Dejean Marine à Bordeaux, observent le même phénomène, avec des commandes de collectivités locales mais aussi de particuliers. Les filiales allemande et espagnole de Doublet "sont aujourd’hui sollicitées de la même manière" selon la maison-mère.
Comme les autres, la PME normande a déjà connu des pics de commandes: lorsque l'équipe de France est "montée en régime" en Coupe du monde, lors des attentats en 2015, lorsque les agriculteurs manifestaient et plantaient des "drapeaux FNSEA sur le lisier déversé devant les préfectures", ou face aux demandes des syndicats opposés à la loi travail en 2016, précise M. Borney.
Mais là, pour un drapeau étranger, "c'est totalement inédit", assure-t-il tandis que de la vapeur s'élève d'un immense rouleau de tissu à bandes jaunes et bleues chauffé à 195 degrés pour fixer les colorants de futurs drapeaux ukrainiens.
Ici, les prix HT vont de 5,95 euros pour un 30x45 cm à 43,25 euros pour un 200x300.
"On s'y attendait pas du tout. C'est pas un pays limitrophe. C'est à 2.000 km. Mais les gens sont plus touchés que si c'est une guerre en Afrique ou un peu plus loin", poursuit le patron de ce fournisseur officiel de l'Unesco âgé de 64 ans.
Dehors, à l'entrée du site, les couleurs de l'Ukraine flottent aux côtés de celles de la France et de l'entreprise normande.
- Livrer rapidement -
La PME a dû "s’organiser pour que les gens soient livrés sous 72 heures, quatre jours maximum, parce que les gens veulent être livrés très rapidement", une exigence à laquelle la PME ne doit que "très rarement" faire face.
Dans le même temps, Borney, qui fabrique des drapeaux "de tous les pays du monde", n'a sans surprise enregistré qu'une commande de drapeau russe. Mais un internaute s'est offusqué que celui-ci soit toujours en vente sur le site internet.
Fabriquer un drapeau ukrainien, "c'est quelque chose d'assez important. Leur montrer qu'on est là pour eux, malgré tout, même si on ne peut pas être présent pour combattre avec eux", confie Marie-Christine Sebert, 37 ans, en travaillant un tissu jaune et bleu de plusieurs mètres de long avec sa machine à coudre.
C'est "quelque chose d'émouvant", "un symbole", ajoute la couturière installée à côté d'un mur où sont accrochées une cinquantaine de bobines de couleurs. Elles sont deux sur une douzaine de couturières à travailler des drapeaux ukrainiens.
Le surcroît de commandes lié au conflit "n'est pas négligeable", souligne M. Borney, surtout après le Covid puis l'envolée du prix des matières premières. Avec des tissus en polyesters et des attaches en plastique, la PME est assez dépendante des cours du pétrole.
Mais c’est une "petite fabrication parmi les fabrications publicitaires que l’on peut faire". Borney est par exemple en train d'honorer des commandes de 33.000 drapeaux pour Renault Occasion, 9.000 pour LFI.
Et si l'entreprise continue à redresser la barre c'est d'abord grâce aux changements de logos de plusieurs constructeurs automobiles. Tombée dans le rouge en 2020, elle a dû réduire ses effectifs de 10 personnes (via un seul licenciement) pour tomber à 25 et retrouver l'équilibre financier avant d'embaucher cinq intérimaires il y a quelques mois.
Elle espère un chiffre d'affaires de 4,5 millions en 2022, après 3 millions en 2020 et 5 millions en 2019.
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T.Furrer--NZN