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L'Allemagne juge à partir lundi un Gambien accusé d'avoir fait partie d'un escadron de la mort ayant assassiné des opposants à l'ancien dictateur Yahya Jammeh, dont un correspondant de l'AFP, dans un procès très attendu par les défenseurs des droits.
Le suspect de 46 ans, Bai Lowe, qui avait été interpellé à Hanovre en mars 2021, comparait devant le tribunal de Celle (Basse-Saxe) pour crimes contre l'humanité, meurtres et tentatives de meurtre entre 2003 et 2006.
Il était à ces dates le chauffeur d'une unité des forces armées chargée d'assassiner des critiques du régime de Yahya Jammeh, dictateur resté au pouvoir à Banjul pendant 22 ans.
Cette unité était utilisée, "entre autres, pour exécuter des ordres d'assassinat illégaux. L'objectif était d'intimider la population gambienne et de réprimer l'opposition", décrit le parquet fédéral allemand.
Ce procès est "le premier à poursuivre les violations des droits de l'homme commises en Gambie sous l'ère Jammeh sur la base de la compétence universelle", souligne l'ONG Human Rights Watch.
- "Liquidation" -
L'accusé a participé "à trois ordres de liquidation au total", estiment les procureurs.
Parmi ces crimes, l'assassinat par balles le 16 décembre 2004 du journaliste gambien Deyda Hydara, correspondant de l'AFP. Bai Lowe aurait convoyé en voiture les assassins du journaliste, selon l'acte d'accusation.
Agé de 58 ans, père de quatre enfants, cofondateur du journal privé The Point, Deyda Hydara était aussi le correspondant en Gambie de l'ONG Reporters sans frontières (RSF). Il était considéré comme le doyen des journalistes de ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest.
"Nous ne resterons pas les bras croisés: nous continuerons à nous battre", assure cet homme de 45 ans qui a prévu d'assister à l'ouverture du procès.
Selon des investigations menées par RSF, Deyda Hydara avait été espionné par les services de renseignements gambiens juste avant sa mort.
Dans son journal The Point, il tenait notamment une rubrique très lue, "Good morning Mr President" dans laquelle il s'exprimait sur la politique gambienne.
L'accusé est également soupçonné d'avoir été complice de la tentative d'assassinat, en décembre 2003, d'un avocat réputé à Banjul, Ousman Sillah, critique du président Jammeh.
Ce procès permettra de "savoir pourquoi, qui et comment on a tenté de tuer mon père", a déclaré lors d'une conférence de presse Amie Sillah, sa fille.
Le parquet allemand soupçonne encore Bai Lowe d'être impliqué dans la mort près de l'aéroport de Banjul en 2006 de Dawda Nyassi, considéré comme un opposant de l'ex-président gambien.
- "Vérité" et "réconciliation" -
La justice allemande fait comparaître l'accusé au nom du principe de la "compétence universelle" qui permet de juger en Allemagne certains crimes quel que soit l'endroit dans le monde où ils ont été commis.
Arrivé au pouvoir par un putsch en juillet 1994, Yahya Jammeh s'était fait élire en 1996 puis réélire sans interruption jusqu'à sa défaite en décembre 2016 face à l'opposant Adama Barrow. Depuis 2017, il se trouve en exil en Guinée équatoriale.
Les défenseurs des droits de l'Homme ont accusé son régime de tortures systématiques, d'exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de viols.
En juillet 2019, devant la Commission gambienne "vérité, réconciliation et réparations" (TRRC), trois anciens membres des "Junglers" ("broussards"), ces escadrons de la mort de Yahya Jammeh, avaient reconnu avoir assassiné Deyda Hydara, plus de 50 migrants ouest-africains échoués sur une plage, ainsi que d'anciens compagnons de route de M. Jammeh, soupçonnés de vouloir le renverser.
Outre Bai Lowe, deux autres acteurs présumés des exactions imputées à l'ex-régime gambien sont actuellement détenus à l’étranger.
Ousman Sonko, ancien ministre de l'Intérieur, fait l'objet d'une enquête en Suisse depuis 2017 pour "crimes contre l'Humanité" et un ex-"broussard", Michael Sang Correa, a lui été inculpé en 2020 aux Etats-Unis. Son procès pourrait débuter début 2023.
Les poursuites à leur encontre "sont un grand pas dans la quête de vérité et de justice", s'est félicité Babaka Tracy Mputu de l'ONG de défense des droits humains TRIAL International.
F.Schneider--NZN