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Iana, une adolescente moscovite, risque de devoir renoncer à sa passion, le quadrobics, une activité physique consistant à bondir, trotter, ramper comme un animal, grimé en quadrupède, avant de souvent poster les vidéos sur TikTok.
Autorités russes, clergé orthodoxe et artistes proches du pouvoir ne voient rien d'innocent ni d'amusant dans cette tendance émergente, y décelant la marque de "satanisme" et une menace en provenance d'Occident pour détruire les valeurs dites "traditionnelles" de la Russie.
En conformité avec le virage ultraconservateur du pouvoir russe depuis le début de l'assaut contre l'Ukraine en février 2022, des députés ont déposé une proposition de loi pour bannir le quadrobics, comme ils l'ont déjà fait pour "la promotion de la vie sans enfants" ou comme le fit la Cour suprême pour le "mouvement LGBT".
"On nous dicte combien d'enfants on doit avoir et à quoi ils doivent jouer ? Sérieusement ?", s'offusque la mère d'Iana, Ioulia, 38 ans, une agente de voyages qui préfère ne pas donner son nom de famille dans un pays où la répression bat son plein.
Dans leur appartement cossu de Moscou, Ioulia aide sa fille de 12 ans à trier queues touffues et masques multicolores de chats et de renards que celle-ci a confectionnés.
Iana, qui pratique le quadrobics chez elle ou dans un parc avec des amis, trouve ça "trop cool": "Physiquement, je suis devenue plus forte, je peux marcher sur les mains."
Mais cette activité, somme toute encore assez confidentielle, est devenue en Russie une affaire d'importance, abordée au cours d'une table ronde sur "la lutte contre le satanisme" ou à longueur de débats et de reportages télévisés au ton outragé.
- L'hydre quadrobics LGBT -
La commissaire aux droits de l'Enfant de la république russe du Tatarstan, Irina Volets, a dit avoir reçu "nombre de plaintes" par des citoyens qui s'inquiètent d'"une déshumanisation des enfants".
Le "quadrobics" et les "furries", une autre communauté de gens qui se déguisent en animaux, sont "avec le mouvement LGBT les têtes de la même hydre", a-t-elle dit.
"Saviez-vous que parmi les quadrobics il y a dix fois plus de personnes qui s'identifient en tant que LGBT ?", interroge le réalisateur Nikita Mikhalkov, oscarisé en 1995 pour "Soleil Trompeur" et aujourd'hui propagandiste du Kremlin.
Pour Fiodor Loukianov, chargé de la famille au patriarcat de Moscou, "le quadrobics, ce n’est pas un jeu d’enfant ou un sport mais une sous-culture (...) qui prépare l’enfant à l'adoption d'antivaleurs dont celles de la pluralité de genres et du (mouvement) LGBT".
"On est à l’étape où on nous pousse à renoncer non seulement à notre identité de genre mais aussi à notre identité humaine", renchérit le 11 octobre sur Telegram le président de la Douma, la chambre basse du Parlement, Viatcheslav Volodine, dénonçant une tendance en provenance "des États-Unis et d'Occident".
C'est une chanteuse partisane du Kremlin, Mia Boïka, qui a déclenché la tempête quand, en septembre, elle a humilié sur scène une jeune pratiquante : "Aujourd’hui c’est un chat, demain un chien. Et après-demain, elle décidera qu’elle est devenue un garçon... et on aura Maman 1 et Maman 2 dans nos familles".
- "Influence étrangère néfaste" -
"Quelle horreur ! D'où sortent-ils tout ça ?", s'offusque Ioulia, la mère de Iana. "Ce sont nos enfants qui ne font que s'amuser. Le temps viendra où ils deviendront tous des adultes ennuyeux".
Mais le député ultra-nationaliste Andreï Svintsov, à l'origine de la proposition de loi qui prévoit des amendes pour les pratiquants, s'emporte au souvenir d'une "vidéo dans laquelle une femme promène en laisse son fils déguisé en chien. Ca dégoûte les Russes".
Avant de poursuivre : "Nous avons pris un retard de 25 ans avec (l'interdiction du mouvement) LGBT", mis par les autorités dans la catégorie des organisations "extrémistes", ouvrant ainsi la voie à de lourdes peines de prison.
"On doit au moins se rattraper avec ces nouveaux mouvements", "imposés par l'Occident" et qui "visent à détruire notre démographie", dit-il, une allusion à la crise démographique que Vladimir Poutine promet, sans succès, de régler depuis un quart de siècle au pouvoir.
Pour le politologue indépendant Konstantin Kalatchev, le pouvoir "impose ce débat pour enfoncer un coin entre les Russes et l'Occident".
Et la campagne porte ses fruits : 35% des Russes jugent que l'apparition des quadrobics est imputable à "une influence étrangère néfaste" et un tiers veut une interdiction, selon un sondage de l'Institut VTsIOM proche du Kremlin.
W.O.Ludwig--NZN