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Le prix Nobel de la paix ne protège pas: moins d'un an après l'avoir remporté pour son combat en faveur de la liberté d'expression, la journaliste philippine Maria Ressa se bat pour éviter la prison et son site d'information Rappler est menacé de fermeture.
Cette journaliste chevronnée, en première ligne dans la critique de l'ancien président Rodrigo Duterte et ses méthodes violentes dans la guerre anti-drogue, est déterminée à continuer de s'exprimer, même si sept procédures judiciaires sont en cours contre elle et huit contre Rappler.
"C'est une rédaction qui est attaquée depuis six ans et nous nous sommes préparés", explique à l'AFP Mme Ressa, 58 ans, dans ses bureaux dans la banlieue de Manille.
"Nous ne renoncerons pas volontairement à nos droits".
Rappler, co-fondé il y a dix ans par Mme Ressa, a dû se battre pour sa survie sous le gouvernement Duterte qui l'accusait d'évasion fiscale et d'enfreindre la loi interdisant aux médias d'avoir des propriétaires étrangers.
Fin juin, quelques jours avant la fin de mandat de M. Duterte, la Commission des opérations de Bourse (SEC) a ordonné la fermeture du site internet.
Puis, moins de deux semaines plus tard, Mme Ressa était condamnée en appel pour diffamation. Elle risque sept ans de prison.
Forte de plusieurs dizaines d'années d'expérience journalistique en Asie, y compris dans des zones de conflit, Mme Ressa estime qu'elle doit être "prête à tout".
"C'est quelque chose que je fais: quelle que soit la chose dont j'ai le plus peur, je pense au pire scénario et ensuite je planifie", explique l'ancienne correspondante de CNN, qui est aujourd'hui en liberté sous caution.
Ses avocats dénoncent un "harcèlement judiciaire soutenu par l'Etat".
Les ennuis ont commencé en 2016 pour la journaliste et son site, quand M. Duterte est arrivé au pouvoir et a lancé une "guerre contre la drogue" dans laquelle les opérations policières ont fait plus de 6.200 morts selon les chiffres officiels.
Les groupes défenseurs des droits de l'Homme estiment que ce bilan monte à des dizaines de milliers de morts.
Comme d'autres publications philippines et étrangères, Rappler a diffusé des images choquantes de ces opérations et s'est interrogé sur les fondements légaux de la répression.
La télévision locale ABS-CBN, également critique de M. Duterte, a de son côté perdu sa licence de diffusion.
Le gouvernement de M. Duterte a assuré n'être pas impliqué dans les poursuites contre Mme Ressa.
Selon la journaliste, le harcèlement en ligne s'est intensifié "de façon exponentielle" après l'ordre de fermeture de la SEC. Et il se poursuit depuis l'arrivée au pouvoir de Ferdinand Marcos Jr, fils de l'ancien dictateur du même nom.
La condamnation "était le pic le plus important, c'est sûr. Ça ne s'est pas arrêté, c'est pratiquement non-stop", déplore Mme Ressa.
"Les attaques sont toujours liées à une défense du gouvernement Marcos".
- "Moment décisif" -
Maria Ressa embrasse la carrière de journaliste en 1986, l'année même où le dictateur Ferdinand Marcos est contraint par une révolte populaire de quitter le pouvoir et le pays pour s'exiler aux Etats-Unis avec sa famille.
Son fils Ferdinand Marcos Jr a remporté la présidentielle du 9 mai permettant à son clan de revenir au pouvoir, grâce à une réécriture du passé et une alliance avec les autres familles puissantes.
Maria Ressa espère que la gouvernance de Marcos Jr sera différente de celle de son père, qui fut marquée par les violations des droits de l'Homme, la corruption et la fermeture de médias indépendants.
Mais la tendance des trois dernières semaines, notamment les attaques sur les médias sociaux, "n'augure rien de bon pour la liberté de la presse et pour les journalistes philippins", craint la journaliste.
"Il n'y a pas eu de magnanimité dans la victoire", lance-t-elle.
"Il ne s'agit pas d'une ou deux personnes qui ne sont pas gentilles, ce sont des opérations concertées".
Certains de ses collègues à Rappler, dont l'âge moyen des équipes est de 25 ans, ont aussi été visés.
Mme Ressa espérait que le prix Nobel de la paix reçu en 2021 avec le Russe Dmitri Mouratov les protègerait, elle et les autres journalistes philippins.
Même si M. Marcos Jr n'a donné aucune indication sur ses intentions concernant Rappler et plus largement sur la liberté d'expression, les militants craignent que la situation n'empire.
Pour Mme Ressa, l'issue des procédures engagées contre elle et Rappler pourrait avoir des implications plus larges pour les Philippins et leurs droits.
Elle évoque notamment la loi controversée sur la diffamation en ligne. Rappler est accusé de l'avoir enfreinte pour un article publié plusieurs mois avant l'entrée en vigueur du texte en 2012.
"C'est un moment décisif", estime Mme Ressa.
"Ce qui est en jeu va au-delà de ma liberté ou de Rappler. Cela déterminera vraiment la direction que prendra ce pays."
W.Vogt--NZN