AEX
13.6800
Les prouesses économiques et technologiques de Tesla ont longtemps occulté les critiques contre son fantasque patron Elon Musk et les plaintes de certains employés. Mais des accusations de "ségrégation raciale" et de harcèlement sexuel sur son site californien jettent l’opprobre sur l'entreprise automobile la plus valorisée en Bourse.
"Quand j'ai vu Tesla s'installer dans la baie (de San Francisco), j'étais très content", se souvient Larry Organ, un avocat spécialisé dans les droits civiques. "Ils répondent au changement climatique, ils font du recyclage, leurs voitures électriques sont bien notées... Tout semblait parfait. Et puis j'ai commencé à recevoir des appels."
Il a reçu tellement de plaintes d'employés noirs victimes de racisme qu'une action de groupe est en cours en justice depuis 2017, contre l'usine de Fremont, qui produit la majorité des véhicules de la marque prestigieuse.
La procédure est sans cesse repoussée. "J'ai plaidé des milliers d'affaires mais Tesla est l'un des pires adversaires en termes d'obstination et de mauvaise foi", souligne M. Organ.
Mercredi, l'Etat de Californie a engagé des poursuites séparées contre l'usine pour discrimination raciale.
"Après avoir reçu des centaines de plaintes de travailleurs, nous avons trouvé des preuves de ségrégation raciale à l'usine de Fremont", a déclaré mercredi Kevin Kish, le directeur de la DFEH, l'agence chargée d'enquêter sur les affaires civiles.
En décembre, six femmes ont déposé plainte, accusant Tesla d'avoir toléré du harcèlement sexuel (grivoiseries et contacts physiques non sollicités).
L'usine a aussi fait les gros titres ces dernières années au sujet des échecs de tentatives de syndicalisation et après un meurtre sur le parking.
- Clause contractuelle -
Comment la situation s'est-elle dégradée au point que l'accusation de "ségrégation raciale" soit prononcée ?
Parce que ces problèmes "n'affectent pas les profits" de Tesla, répond Owen Diaz, un ex-employé du groupe et victime de racisme.
Il évoque la clause contractuelle qui oblige à résoudre les conflits en interne, très répandue dans les sociétés américaines.
"L'entreprise ne prend jamais ses responsabilités", explique-t-il. Les "arbitres", payés par le groupe, "prennent toujours son parti".
Ouvrier sur la chaîne d'assemblage pendant neuf mois en 2015-2016, il raconte avoir subi des insultes racistes au quotidien, y compris le "N-word" (le terme raciste et extrêmement méprisant pour désigner les Noirs). Sans conséquences pour les auteurs de ces propos dégradants.
En octobre, un jury a condamné le fabricant automobile à lui payer 137 millions de dollars de dommages et intérêts, pour avoir fermé les yeux.
"Quand on rapportait ce qui se passait, on s'entendait dire qu'on avait une attitude négative", relate M. Diaz.
Il évoque aussi l'attitude du patron, Elon Musk, deuxième homme le plus riche au monde selon Forbes.
En octobre, il avait tweeté qu'il aimerait ouvrir une université baptisée "Texas Institute of Technology & Science", suscitant l'hilarité de ses nombreux fans, car l'acronyme, TITS, signifie "nénés".
C'était à la même période où surgissaient les récits sur le sexisme observé chez le constructeur, mais aussi chez SpaceX, une autre société de l'entrepreneur.
- Vision -
La culture de Tesla consiste à "mettre en scène la transgression, le non-respect des règles", commente David Lowe, l'avocat de plusieurs femmes ayant porté plainte.
"Cela contribue à un environnement où les gens croient qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent, (...) que cela blesse les autres ou non."
Tesla a connu une croissance hors norme, portée par la détermination d'Elon Musk, jamais réticent à un clash avec les autorités boursières ou gouvernementales.
Il a ainsi longuement menacé la Californie de partir à cause des restrictions sanitaires pendant la pandémie, qui retardaient la production. Et à l'automne, il a déplacé le siège du groupe au Texas.
Tesla, qui n'a pas réagi à une sollicitation de l'AFP, a publié mercredi un communiqué sur les poursuites engagées par l'Etat américain, assurant vouloir offrir un lieu de travail "sûr, respectueux, juste et inclusif".
Le groupe juge la plainte "injuste et contre-productive", "au moment où les emplois industriels quittent la Californie".
Le fabricant a livré près d'un million de voitures en 2021 et réalisé 5,5 milliards de dollars de profits, malgré les difficultés mondiales d'approvisionnement.
"Les ouvriers nous parlent régulièrement des quotas et de la pression pour produire des véhicules tellement vite que beaucoup se blessent", indique Steve Smith, directeur de la communication d'une fédération californienne de syndicats.
"Mais ils ont trop peur de perdre leur emploi pour se plaindre ou s'exprimer publiquement".
"Je crois toujours en la vision" d'Elon Musk, remarque Owen Diaz, désormais conducteur de bus. "Nous avons besoin de nous débarrasser des énergies fossiles". "Mais je n'aime pas ses méthodes. C'est comme un coup de poignard dans le dos".
T.Furrer--NZN