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Dans les écoles de Bulgarie, on passe encore souvent sous silence les heures sombres de l'époque communiste.
De quoi alimenter chez les jeunes l'image d'un âge d'or, terreau propice à une désinformation foisonnante contre l'Union européenne.
Devant des élèves d'un lycée de Sofia, la professeure d'histoire Tsvetomira Antonova raconte les horreurs des geôles de l'île de Belene, sur le Danube, où des milliers de personnes ont été emprisonnées sous la dictature communiste. Des centaines y auraient trouvé la mort.
Un pan d'histoire largement méconnu, déplore l'enseignante quinquagénaire.
Les camps de travail bulgares, analogues au goulag soviétique, se proposaient de "rééduquer" les "ennemis du peuple", souvent de simples citoyens dénoncés pour leurs origines "bourgeoises" ou des propos hostiles au régime.
Ce n'est que depuis très récemment que davantage d'heures sont consacrées à cette période dans le programme, mais seulement en fin d'année scolaire et beaucoup de professeurs n'ont ni le temps, ni l'envie de l'enseigner, selon l'enseignante.
Encore aujourd'hui, la Russie reste idéalisée dans les manuels qui "taisent les aspects négatifs" de son rôle depuis la fin du 19e siècle, constate une étude du groupe de réflexion Institute for Global Analytics (IGA).
Le mythe des "frères russes" volant au secours de la Bulgarie face à l'empire ottoman "reste insubmersible", analyse Mme Antonova.
- Poutine encensé, l'UE dénigrée -
Et tout travail de mémoire se heurte à de vives réticences: le socle du monument à la gloire du soldat soviétique gît toujours en plein coeur de la capitale après des protestations contre son démontage.
De même, la Bulgarie célèbre toujours sa fête nationale le 3 mars, date controversée de la libération du pays par les Russes en 1878 après cinq siècles de domination ottomane. Un précédent gouvernement pro-européen a évoqué il y a quelques mois un changement, mais le projet avait provoqué un tollé.
Selon une étude récente de l'institut Ipsos menée dans 18 pays européens pour la chaîne Euronews, la Bulgarie est un "cas exceptionnel" de par son soutien au président russe Vladimir Poutine (37% d'opinions positives).
A l'approche des élections législatives et européennes, cette nostalgie est exploitée par des partis nationalistes, eurosceptiques et favorables au Kremlin.
"Je suis pour l'Europe mais certains insistent sur +la grandeur et l'identité propre+ à la Bulgarie qui seraient menacées", explique dans la classe Yoana Fenerdjieva, 15 ans.
Dix-sept ans après l'adhésion, l'UE voudrait gommer les spécificités du pays des Balkans, occulter son passé et son patrimoine culturel: l'idée revient souvent dans les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux.
"On va être envahi par les gays et on nous fera manger des insectes", ironise, grand sourire, un autre lycéen, Svetlin Petkov. "Ce genre de propagande foisonne sur internet", dit-il pas dupe, tout comme les publications dénonçant le Pacte vert visant à sabrer les émissions carbone du continent.
- "Douleur fantôme" -
A l'inverse, on y glorifie la vie d'avant 1989.
Des dizaines de milliers d'internautes partagent leurs souvenirs sur Facebook. A les écouter, la Bulgarie était l'un des plus grands producteurs mondiaux de produits agricoles, un champion de l'innovation, la vie y était douce et les criminels en prison.
TikTok n'est pas en reste, avec des discours du dernier dictateur communiste Todor Jivkov largement relayés.
Une chanson pop folk, style très répandu dans le pays, faisant son éloge a été aimée près de 18.000 fois. "Bravo Jivkov, bravo Jivkov, nous nous souvenons avec plaisir de ton époque, avec seulement quelques sous en poche", chante l'interprète de ce titre vieux de 20 ans revenu en vogue.
"Ce qui nourrit cette nostalgie, c'est une fiction que j'appelle la douleur fantôme, celle du membre amputé", commente pour l'AFP la sociologue Milena Yakimova, de l'ONG Human and Social Studies Foundation qui décrypte notamment la désinformation venue de Moscou.
Pour les jeunes qui n'ont pas connu la période de transition démocratique et sont las de l'instabilité politique actuelle, c'est un moyen "léger de combler ce vide". Pour les anciens, cela peut être une "douleur réelle", face au manque de médecins par exemple dans ce pays le plus pauvre de l'UE qui garantissait la médecine pour tous.
"De nombreux Bulgares ont le sentiment d'être des Européens de seconde zone", analyse Mme Yakimova. La propagande russe joue sur ces "émotions" en leur renvoyant l'image déformée d'une Bulgarie jadis radieuse.
O.Meier--NZN