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Tout au nord des Etats-Unis, Duluth, 86.000 habitants, est connue pour ses hivers enneigés et la brise quasi océanique de l'immense Lac Supérieur. Aujourd'hui, la ville fait parler d'elle en tant que potentiel futur "refuge climatique".
Sur la promenade qui longe le lac en dégel, à la surface duquel glissent des blocs de glace sous un soleil radieux, Christina Welch raconte ce qui lui a fait quitter les vignobles du comté de Sonoma en Californie pour Duluth.
En 2017, première frayeur, un incendie s'approche dangereusement de son quartier. Puis en 2019, alors qu'elle se trouve justement à Duluth pour explorer la ville sur les conseils d'un collègue, un feu force ses parents à évacuer.
"Ce fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", explique-t-elle à l'AFP.
Les incendies, dont les experts prédisent l'aggravation avec le réchauffement de la planète, font aussi partie des raisons qui ont poussé il y a neuf ans John Jenkins à quitter les plages de Californie pour les rivages glaciaux du Minnesota.
"L'air est plus pur. L'eau fait partie des meilleures du monde. C'est juste très propre, beau, immaculé", dit-il dans le café-restaurant qu'il a acheté et rénové.
Christina, 40 ans, et John, 38 ans, ont donc tourné la page de leur vie californienne et se sont installés à Duluth - par ailleurs la ville de naissance de Bob Dylan. Certes, il fait parfois moins 30°C l'hiver. Mais ils n'ont aucun regret.
John est venu avec sa femme. Depuis, il a eu deux enfants et plusieurs membres de sa famille ont sauté le pas.
Christina et John font partie des pionniers d'une tendance balbutiante mais qui pourrait grossir dans les décennies à venir: celle des "migrants climatiques". Ces personnes qui tiennent compte du changement du climat lorsqu'elles choisissent de quitter un endroit pour un autre - en plus des prix de l'immobilier, de la qualité de vie ou des perspectives professionnelles.
- Eau douce -
Pour ce qui est du buzz autour de Duluth, l'histoire commence il y a quelques années avec le professeur Jesse Keenan. Ce spécialiste de l'articulation entre urbanisme et adaptation au changement climatique examine les régions vers lesquelles pourraient se diriger les futurs migrants climatiques aux Etats-Unis.
Il identifie plusieurs villes: Buffalo, Detroit, Duluth entre autres. Sans être imperméable au changement climatique, cette dernière est une cité historiquement industrielle qui a bénéficié d'investissements "du Minnesota pour tenter de promouvoir une économie durable" et dispose d'un parc immobilier "extrêmement abordable", dit-il à l'AFP.
Surtout, grâce au Lac Supérieur, Duluth a de l'eau en énorme quantité. Et "l'eau douce, c'est le nouveau pétrole", selon M. Keenan.
Des médias s'enthousiasment pour le concept de "refuge climatique". Sur place, la majorité des habitants interrogés disent être prêts à ouvrir grand les bras.
"Je pense que c'est merveilleux !", s'exclame Lezlie Oachs, retraitée de 65 ans. Mais il faut que ces personnes "s'habituent au fait qu'il fait froid presque tout le temps", sourit-elle.
- "Optimistes du climat" -
Du côté des autorités toutefois, le ton est à la circonspection. La maire, Emily Larson, a "poliment décliné" de parler à l'AFP, mais elle a récemment dit sans détour avoir été "horrifiée" quand le nom de sa ville a commencé à circuler.
"J'ai l'impression que nous sommes encore en train de mettre nos masques à oxygène. Nous ne sommes pas prêts à aider le passager à côté, et pourtant le climat nous presse de le faire", a-t-elle résumé lors d'une conférence en public.
Et elle trouverait "cynique", a-t-elle expliqué, que sa ville se développe en axant sa "stratégie marketing" sur les personnes fuyant le changement climatique.
Jesse Keenan ne cache pas sa "frustration" face à ce discours.
"Devinez quoi: les gens vont venir" de toutes les manières, lance-t-il.
Pour lui, "le défi est simple": soit la ville se prépare de manière respectueuse pour l'environnement et l'équité sociale, avec des logements et des transports adaptés; soit son développement se fera de façon classique, avec une extension vers la périphérie et une utilisation massive des voitures.
Et il est possible d'agir en amont pour éviter la gentrification - l'embourgeoisement des quartiers populaires - soutient-il.
Jesse Keenan croit fermement que "Duluth est un endroit pour les optimistes du climat", ceux qui pensent qu'il est possible de s'ajuster au bouleversement du monde tel que nous le connaissons.
Mais il prévient: si l'adaptation aux nouveaux arrivants "n'est pas bien faite, cela pourrait empirer les choses".
S.Scheidegger--NZN