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Des boucles d'oreilles à 1,25 dollar, un cardigan pour 15 dollars: comme des millions de consommateurs américains, Laurie Silva a trouvé en Temu son paradis pour faire des affaires hors norme.
En soi, rien de bien particulier, les applications de e-commerce proposant de telles affaires sont légion mais Temu, lancée par le groupe chinois Pinduoduo aux Etats-Unis, est venue se classer parmi les plus téléchargées en début d'année, dans un contexte de tensions géopolitiques autour d'une autre plateforme chinoise, TikTok.
Temu est aujourd'hui symbole d'une tendance: selon Sensor Tower, quatre des cinq applications les plus téléchargées aux États-Unis sont d'origine chinoise.
C'est par exemple le cas de Shein, une application spécialisée dans les articles de mode, là où Temu se place plutôt en concurrent d'Amazon, proposant des produits de beauté, de l'électronique ou encore des articles de maison.
Si le succès de Shein est avéré parmi les plus jeunes, Temu a su convaincre des consommateurs de tous âges, à l'image de Mme Silva, californienne de 65 ans, qui y a déjà passé une vingtaine de commandes.
"J'ai vu beaucoup de choses sur leur application qui était aussi sur Amazon ou d'autres revendeurs en ligne, mais tellement plus cher", explique-t-elle à l'AFP.
Stephanie Wolfe, 38 ans, a, elle, voulu tester l'application en janvier, en achetant de l'eyeliner et des bijoux. "J'ai reçu ma commande tellement vite, c'était surprenant. J'ai pu constater que le service était correct, j'ai donc commandé à nouveau".
Une publicité de Temu durant le Super Bowl, la finale du championnat de football américain, en février, a renforcé sa conviction: "je me suis dit +tiens! mais c'est ce que j'utilise!+, et j'ai pu constater qu'elle avait gagné en popularité depuis".
Non sans raison: les téléchargements ont explosé le jour du Super Bowl, selon Sensor Tower.
- Liens avec la Chine -
Alors que les entreprises américaine de mode cherchent à moins produire en Chine, inquiètes des tensions grandissantes entre les deux pays, Shein ou Temu y voient au contraire une opportunité, estime Sheng Lu, professeur en études de la mode et de l'habillement à l'Université du Delaware.
Les deux applications se fournissent en Chine et Temu expédie même ses produits directement depuis l'Empire du Milieu, à la différence d'Amazon qui s'appuie sur ses centres régionaux de distribution aux États-Unis, décrit-il.
Cette stratégie permet à Temu de s'appuyer sur la capacité de la Chine à produire des vêtements variés, en petite quantité et à bas prix, tout en profitant de certaines dispositions américaines, comme l'absence de taxes à l'importation pour les produits de faible valeur.
Selon M. Lu, Shein s'appuie également sur l'intelligence artificielle et l'étude des données "afin de mieux connaître les habitudes et mode de vie des consommateurs et ainsi s'adapter à la demande".
- Surveillance accrue -
Mais cet envol des applications chinoises s'est accompagné d'une surveillance à laquelle Temu risque d'être à son tour confrontée.
En 2021, l'ONG Public Eye a révélé que certains ouvriers répondant aux commandes de Shein travaillaient entre 11 et 13 heures par jour mais aussi qu'elle participait au gaspillage de plus en plus dénoncé dans la mode.
"Par ailleurs, comme pour TikTok, le développement rapide de Shein et Temu a entraîné la collecte d'une quantité importante de données personnelles d'Américains", rappelle Sheng Lu.
Accusée d'être un risque pour la sécurité nationale et la santé mentale, TikTok tente d'éviter une interdiction pure et simple sur le sol américain.
Mais "se concentrer sur la nationalité d'une entreprise est un critère grossier" quand on parle de risques de sécurité, estime le professeur du Georgia Institute of Technology Milton Mueller.
Une étude coréalisée par M. Mueller et publiée en janvier a ainsi estimé que "les données collectées par TikTok présentaient un risque de sécurité uniquement si elles provenaient de personnes dont les fonctions se rapportaient à la sécurité nationale et que leur utilisation de l'application exposait des données sensibles", un risque "qui pouvait exister sur n'importe quel réseau social".
Compte tenu de la quantité de données disponibles sur les réseaux sociaux, la Chine n'a pas besoin de pouvoirs spécifiques sur ByteDance, la maison mère de TikTok, pour les récupérer, insiste l'étude.
En attendant, les consommateurs américains préfèrent ignorer les risques en matière de sécurité.
"Je prends des précautions, je ne suis pas inquiète", affirme ainsi Stephanie Wolfe, précisant utiliser PayPal pour ses paiements et un VPN pour se connecter.
O.Meier--NZN