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Pour préserver les dauphins, les pêcheurs français et étrangers du golfe de Gascogne seront cantonnés au port pendant un mois à partir de lundi, une première depuis 1945, au grand dam d'une filière qui redoute la "casse sociale" malgré des indemnisations.
Le gouvernement français a officialisé jeudi l'extension à tous les pavillons de la mesure, ordonnée fin décembre par le Conseil d'État, tout en promettant d'accompagner tous les acteurs du secteur.
Situation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, la pêche va s'interrompre presque entièrement jusqu'au 20 février du Finistère à la frontière espagnole.
Cette "fermeture spatio-temporelle", présentée comme "historique" par les associations environnementales, vise à réduire les décès de petits cétacés pris accidentellement dans les filets.
Le Ciem, l'organisme scientifique international de référence, estime à environ 9.000 le nombre de dauphins communs morts chaque année par capture accidentelle sur la façade atlantique française, pour un niveau soutenable de 4.900 décès au maximum.
L'arrêt de la pêche pour les bateaux de plus de huit mètres et pour certains types de pêche, valable aussi en 2025 et 2026, laisse à quai 450 navires français.
Le Comité national des pêches (CNPMEM) a fustigé des "ONG extrémistes" défendant une espèce, le dauphin commun, "pas en danger dans le secteur" selon lui.
"C'est aberrant de stopper des entreprises comme ça, pendant un mois", s'indigne auprès de l'AFP Raymond Millet, marin-pêcheur à La Rochelle.
"Les bateaux de neuf, dix, onze mètres, ce ne sont pas des bateaux qui pêchent des dauphins, il faut arrêter... Ça fait quarante ans que je pêche, je pêche des dauphins à chaque fois que je perds une molaire!", ironise le sexagénaire, patron d'un fileyeur concerné par l'interdiction.
- "Acharnement" -
Dans une circulaire adressée aux armateurs bretons et consultée par l'AFP, l'administration évoque une indemnisation d'environ 80% du chiffre d'affaires des entreprises de pêche. Soit une ardoise de plusieurs dizaines de millions d'euros.
"Il va y avoir de la casse sociale", redoute pourtant Franck Lalande, armateur de deux bateaux à Arcachon (Gironde). Vice-président du Comité régional des pêches de Nouvelle-Aquitaine, il déplore des indemnisations insuffisantes, donc "inacceptables".
Les délais de paiement inquiètent aussi les pêcheurs.
Julien Lamothe, directeur de l'organisation de producteurs FROM Sud-Ouest, fustige un "acharnement sur la filière" avec cette "nouvelle contrainte qui impacte les entreprises, dont certaines ont des trésoreries compliquées".
Et toute la filière s'inquiète: à La Rochelle, crieurs et mareyeurs s'agitaient tôt jeudi matin autour des caisses de crevettes, grondins ou daurades pour cette ultime semaine d'activité.
Pascal Bouillaud, directeur du syndicat mixte du port de pêche de La Rochelle, évoque "55% du tonnage et du chiffre d'affaires perdu sur les criées concernées sur la période concernée car ce sont des mois extrêmement porteurs".
Pendant la fermeture, les grossistes devront trouver du poisson pêché ailleurs, avec le risque de voir leurs acheteurs se fournir autrement et une probable inflation pour le consommateur final.
- Patrouilles -
Les mareyeurs, qui transforment le poisson frais débarqué dans les criées, estiment leurs pertes à plus de 60 millions d'euros.
"Certains mareyeurs sont fragilisés et risquent de ne pas s'en sortir", prévient Guillaume Badoinot, président de l'Union du mareyage charentais.
En réponse, le gouvernement a promis jeudi d'accompagner "l'ensemble de la filière aval et de la mise en marché, avec l'activation en cas de besoin de mesures de chômage partiel et des aides spécifiques".
Malgré la menace de poursuites, certains pêcheurs ont laissé entendre qu'ils pourraient sortir en mer, mais la Préfecture maritime de l'Atlantique promet des patrouilles "un peu plus présentes que d'habitude".
"Si les pêcheurs ne jouent pas le jeu, c'est contre-productif pour eux" car "on va alors constater la mortalité" des dauphins, plaide Philippe Garcia, président de Défense des milieux aquatiques (DMA), l'une des associations ayant eu gain de cause devant le Conseil d'État.
Les pêcheurs, eux, estiment être stigmatisés alors que beaucoup ont équipé leurs navires d'effaroucheurs ou de caméras de surveillance, initialement synonymes de dérogations.
"On n'a aujourd'hui aucune preuve de l'efficacité d'un arrêt" de la pêche, juge Gaël Gueffier, patron d'un fileyeur à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). "Tout ce qu'on demande, c'est une solution pour qu'il n'y ait plus de captures accidentelles de cétacés et qu'on puisse continuer à travailler normalement."
N.Fischer--NZN