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Les uns veulent nourrir une planète surpeuplée, les autres la maintenir habitable: entre agriculteurs et écologistes, les positions semblent irréconciliables dans le contexte de l'explosion de colère du monde paysan.
Pourtant, l'agriculture française, responsable de 19% des émissions nationales de gaz à effet de serre, est la première victime du changement climatique, qui menace les rendements, grignotés par les sécheresses et les inondations.
La question environnementale n'est pas taboue, au contraire, assure le syndicat majoritaire FNSEA.
Chaque agriculteur serait prêt à supprimer "tous les pesticides" s'il avait "une autre solution", tous planteraient des haies, refuge de biodiversité et barrage contre l'érosion, s'il ne fallait pas franchir une course d'obstacles administrative avec "14 textes réglementaires", argumente Arnaud Rousseau, président de la FNSEA.
"On n'est pas des empoisonneurs! On demande juste de vivre librement et d'être payé pour notre travail", résumait mardi Thierry Sénéclauze, céréalier dans la Drôme.
- "Viabilité" -
L'Europe et son Pacte vert, avec sa stratégie de réduction des pesticides, font figure de repoussoir. C'est "le plus petit dénominateur commun" d'un monde paysan aux revendications éparses, sectorielles ou territoriales, relève Jean-Marie Aubert, de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
De leur côté, les ONG environnementales dénoncent un travail de sape permanent des lobbys agricoles à Bruxelles, Greenpeace soulignant que les normes environnementales "sont mises en place pour assurer la viabilité de notre système alimentaire et ainsi la survie des agriculteurs".
Sur les pesticides, "ils (les syndicats majoritaires) veulent des évaluations du risque plus rapides, plus light, pour pouvoir amener des nouveaux pesticides sur le marché. On est exactement dans la demande inverse", souligne François Veillerette, porte-parole de l'ONG Générations Futures.
"On est face à un monde agricole qui est complètement désemparé parce qu'on fait reposer sur lui l'urgence et la nécessité du changement, alors que la question est au moins autant industrielle et sociétale qu'agricole", estime François-Marie-Aubert.
Trois points sont particulièrement urticants pour la FNSEA:
- le Pacte vert européen et sa "trajectoire de décroissance de l'ordre de 15%" (de la production agricole), et le refus de Bruxelles de prolonger en 2024 la dérogation permettant de mettre en culture les terres en jachère (environ 4% des terres arables) alors que "la tension alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine se poursuit".
- l'imposition de contraintes environnementales par une Europe négociant des traités de libre-échange qui promettent de nouvelles importations de produits moins chers et moins-disants au plan environnemental (viande et soja sud-américains avec le Mercosur)
- la diminution de produits phytosanitaires disponibles alors que les alternatives ne sont pas encore là, précipitant les producteurs "dans une impasse qui conduit à importer plus et à détruire l'agriculture française", selon Arnaud Rousseau.
Les céréaliers en particulier rejettent d'emblée le plan gouvernemental Ecophyto, qui vise à réduire de moitié l'utilisation des pesticides d'ici 2030 (par rapport à 2015-2017), estimant avoir déjà réduit leurs usages "de 46% en 20 ans".
Des arguments insoutenables pour Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace, qui estime que seules des mesures environnementales permettront "d'assurer la résilience de l'agriculture à long terme" en enrayant un "effondrement de la biodiversité et l'appauvrissement des sols" liés aux pratiques de l'agro-industrie intensive depuis l'après-guerre.
- "Fracture" -
Le chercheur Pierre-Marie Aubert souligne un paradoxe dans le rejet du Pacte vert européen qui "n'a eu en fait aucune incidence".
"Il y avait 27 projets de réformes, de réécriture ou de nouveaux textes dans la déclinaison agricole du Green deal: 8 textes ont été publiés sous la forme de communication de la Commission à l'adresse du Parlement et du Conseil, ce qui n'engage à rien; il y a eu une révision de la réglementation sur les produits phytopharmaceutiques pour faciliter les +préparations naturelles peu préoccupantes+ comme les purins d'ortie, ce qui n'est pas structurant; tout le reste n'a pas abouti", détaille-t-il.
La question de la "réduction de la production" est selon lui un point de blocage "parce qu'une majorité du monde agricole veut croire que le système actuel va faire le job par rapport aux défis qu'on a devant nous: adaptation au changement climatique, compétitivité des filières, renouvellement des générations..."
"La fracture tient notamment à cela: plus on met de la biodiversité dans les champs, plus on augmente les contraintes de production", dit-il, estimant que l'Europe doit mieux prendre en compte les difficultés de la transition et la question de la viabilité économique pour les agriculteurs.
E.Schneyder--NZN