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Dans le Pacifique colombien, le plastique récolté sur les plages et recyclé est devenu monnaie d'échange : une petite économie qui permet d'aider les enfants tout en atténuant la pollution qui affecte une destination paradisiaque et pauvre du pays.
À Bahia Malaga, un bras de mer appartenant à la municipalité de Buenaventura (sud-ouest), des enfants se présentent à la fenêtre d'un bâtiment en bois coloré.
En échange des bouchons de plastique récupérés dans ce territoire touristique mais jonché de détritus, ils reçoivent des pièces de monnaie fictives, également en plastique, valables pour "acheter" des vêtements, des fournitures scolaires, des jouets, des livres ou du pop-corn à manger en regardant des films.
Cette région à la population majoritairement noire afro-colombienne lutte contre la pollution pour préserver sa nature exubérante, l'un des thèmes qui seront débattus du 21 octobre au 1er novembre dans la ville voisine de Cali (sud-ouest) à l'occasion de la COP16 sur la biodiversité.
Une pièce fictive équivaut à 250 grammes de plastique ramassés. Les produits que l'on peut se procurer en échange ont été donnés à la fondation "Plastico Precioso Uramba", une ONG qui met en oeuvre ce programme sur les plages du parc naturel national du même nom.
De cette manière, cet éternel "problème de déchets est transformé en incitation pour les économies locales", explique à l'AFP Sergio Pardo, son directeur, âgé de 36 ans.
- Mer poubelle -
Inexorablement, la mer recrache d'innombrables déchets plastique sur les plages du parc. Depuis 2019, la fondation a ramassé quelque 16 tonnes de déchets dans la baie de Malaga, estime M. Pardo, ancien plongeur et capitaine au long cours d'un catamaran propriété d'un millionnaire colombien.
Son ONG vit essentiellement des donations, et des contributions volontaires des quelques touristes qui viennent faire une bonne action en collectant les déchets.
Les enfants du coin sont aussi ses partenaires. "Comme il y a beaucoup de couvercles, je les ramasse (...) Ensuite, le les emmène au magasin", raconte l'une de ces petites mains, Juan José Lopez, 13 ans.
Chaque année, selon l'ONU, quelque huit millions de tonnes de plastique finissent dans les océans.
A Bahia Malaga, uniquement accessible par la mer et poste d'observation privilégié pour observer les baleines, ces bouteilles de plastique sont omniprésentes, échouées sur le sable noir ou flottant sur les flots.
M. Pardo et un groupe d'amis se promènent parmi les touristes sur la plage, où ils délimitent une parcelle de 3x3 mètres. Rien que dans ce petit périmètre, ils trouvent des dizaines de plastiques, bouts de verres et métaux.
Certains de ces matériaux ont une valeur marchande, d'autres se décomposent, mais le plastique, lui, reste des années à flotter dans les océans. Ou alors il coule. "Ce qui ne flotte pas doit malheureusement se trouver dans les fonds marins ou dans les mangroves, piégé dans les racines".
Il a parfois trouvé des bouteilles avec des étiquettes écrites en mandarin, sans doute jetées des nombreux navires chinois circulant vers Buenaventura, port colombien le plus important sur le Pacifique.
D'autres bouteilles affichaient des prix en dollars plutôt qu'en pesos colombiens. M. Pardo soupçonne donc qu'elles provenaient de l'Équateur voisin.
- De la plage à l'école -
Stiven Obando, 19 ans, accompagne son ami dans le travail de nettoyage. "Nous avons beau nettoyer maintenant, ce sera ensuite à nouveau sale. L'océan bouge sans cesse et rejette toujours plus de déchets", explique le jeune touriste.
Les Nations unies estiment que 85% des déchets qui polluent les océans sont en plastique.
À Bahia Malaga, l'air marin et les intempéries corrodent les pupitres en bois des écoles. M. Pardo a donc décidé d'apporter sa petite contribution pour améliorer le quotidien des élèves.
Dans son atelier, il trie les bouchons en plastique par couleur et les réduit en flocons dans une machine. Il place ensuite cette poudre dans une presse à chaud à 190°C qu'il a construite lui-même à partir d'un croquis trouvé sur internet.
Le résultat final est une lourde planche de plastique, fabriquée à partir des paillettes d'environ 2.000 bouchons. Avec une seule de ces planches, il construit un bureau coloré qu'il offre aux classes ayant le plus contribué à son programme de ramassage de détritus.
Des dizaines d'enfants étudient déjà sur des chaises confortables et pupitres ainsi fabriqués. "Nous sommes bien assis, bien calés sur nos chaises (...) nous pouvons bien écrire maintenant", se réjouit le petit Juan José.
Son institutrice, Soraya Hinestroza, témoigne du changement, grâce à la petite centaine de pupitres distribués. Les enfants "ont été très assidus dans ce processus", se félicite-t-elle. "En fait, l'impact est déjà visible" sur cette communauté de près de 4.000 âmes.
O.Meier--NZN