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Ses nuits, Raïssa Simonovna les passe encore dans son appartement. Mais depuis samedi, chaque matin, elle descend de nouveau à la cave de son vieil immeuble soviétique en espérant que les obus ne toucheront pas son appartement.
Le pont sur le Donets, la rivière qui traverse la bourgade, était jusqu'à sa fermeture en raison de la pandémie un des rares points de passage ouvert entre les deux camps.
Elle se retrouve en première ligne depuis la remontée des tensions provoquée par le déploiement de dizaines de milliers de soldats russes aux frontières de l'Ukraine, puis la reconnaissance lundi soir de l'indépendance des deux "républiques" autoproclamées de Lougansk et de Donetsk par Vladimir Poutine.
Et le bloc d'immeuble où vit Raïssa Simonovna, quasiment en bordure d'un canal accolé à la rivière, est en première ligne de la première ligne.
"La guerre, on l'attend à chaque heure, chaque minute", soupire la retraitée de 90 ans, foulard vermeil autour du visage, en descendant à la cave une lampe de poche à la main. Après des tirs ayant touché la centrale électrique la veille, l'électricité, le chauffage et l'eau ont été coupés.
Comme ses rares voisins, elle n'a nulle part où aller. Sur les dix appartements qui composent son entrée d'immeuble, seuls trois sont occupés.
- "Bazar" et "malentendu" -
Quelques explosions résonnent au loin. Dans la nuit de lundi à mardi, des obus de mortier ont déjà atterri dans le quartier. Un toit a été transpercé. Négligemment, un homme dépose avec ses gants de chantier des cadres de fenêtres tordus dans la poubelle collective.
Parmi les victimes de la nuit, Valentyna Chmatko a été réveillée en sursaut par le bruit de ses vitres volant en éclat. L'obus tombé devant son petit deux pièces, au premier étage, elle ne l'avait pas entendu arriver.
"On a passé toute la guerre au sous-sol", dit-elle tout en déblayant son appartement, faisant référence aux années les plus violentes du conflit, de 2014 à 2016. "Mais ça, on ne s'y attendait pas".
"Je croyais qu'il n'y aurait pas de conflit. Je pensais que notre président (ukrainien) et le président russe étaient des personnes intelligentes et raisonnables. Et ils savent parfaitement que si ce bazar commence, nous comme l'autre camp souffriront. C'est pour ça que j'ai une demande: qu'ils règlent ça pour qu'on oublie ce malentendu!"
Après une matinée relativement calme, des tirs de mortier, certains lourds, sont échangés à intervalles réguliers. Des explosions assourdissantes font trembler les murs friables de ces immeubles quinquagénaires et déclenchent l'alarme des voitures les plus sensibles. Les rares pauses ne durent jamais longtemps.
- "Tous les jours" -
"C'est tous les jours comme ça depuis jeudi. Hier, c'était pire. Ça a duré toute la journée !", soupire une femme qui descend à la cave. Pour s'abriter? "Oh non! Ils ont remis l'électricité, mais on n'a toujours pas d'eau. Je vais chercher des réserves".
Touché, un transformateur de la centrale électrique est en flamme, dégageant une impressionnante fumée noire. Les autorités ukrainiennes ne feront toutefois état d'aucune victime, civile ou militaire, mardi à Chtchastia.
Les quelques passants restent impassibles. "Ils visent le pont", renseigne tranquillement un homme, tandis que le sol vibre autour de lui, avant de continuer à porter un lourd carton vers son 4x4 garé à quelques mètres.
Cigarettes premier prix aux lèvres, Daniïl et son père, assis sur un banc devant chez eux, ne peuvent s'empêcher d'échanger quelques plaisanteries. Mais le jeune homme est ennuyé.
Il est au chômage, "j'essaie de monter un truc", balaie-t-il. Mais il se sent bien à Chtchastia et n'avait pas l'intention d'en partir malgré le peu de perspectives économiques, dans une ville qui, jusqu'en 2014, dépendait de Lougansk, à 15 kilomètres plus à l'est.
Le discours de Vladimir Poutine a changé la donne. "Ils ont reconnu les républiques et s'ils ont reconnu les républiques, ça veut dire que ça va escalader. Et si ça escalade, il va falloir partir d'ici".
O.Meier--NZN