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Dès ses premiers mots, des larmes coulent sur ses joues. "Comment a-t-on pu s'entretuer ?", interroge Antonina Zaïtseva, une retraitée vivant près du front dans la région séparatiste pro-russe de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine.
Dans ce quartier pavillonnaire ravagé par les bombardements, les rares habitants n'ayant pas fui tentent de se reconstruire.
Si beaucoup y considèrent la Russie comme leur sauveur face aux troupes ukrainiennes, très peu se réjouissent des bruits de bottes qui résonnent de nouveau, sur fond de crise russo-occidentale autour de l'Ukraine.
Certains riverains les appellent le "réveil matinal", d'autres les "célébrations" : presque chaque jour à l'aurore ou au crépuscule, des tirs d'artillerie et de mitrailleuses retentissent.
Entre 2014 et 2015, le quartier, situé à l'extrême ouest de la ville de Donetsk, capitale des séparatistes de la "république populaire" éponyme, a été pilonné du fait de sa proximité avec l'aéroport, théâtre d'une bataille acharnée entre forces ukrainiennes et pro-russes.
Depuis les accords de paix de Minsk de 2015, le front s'est stabilisé et les combats ont fortement diminué.
Mais la résolution politique du conflit, qui a tué plus de 13.000 personnes, est au point mort, faute de progrès dans les négociations entre Kiev, soutenu par les Occidentaux, et la Russie, qui malgré ses dénégations apparaît comme le parrain des séparatistes.
Mercredi, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a entamé une tournée européenne consacrée à la crise ukrainienne par une visite de soutien à Kiev, avant une réunion jeudi à Berlin avec ses partenaires allemand, français et britannique, et enfin une rencontre vendredi à Genève avec son homologue russe Sergueï Lavrov.
- "Comment pardonner ?" -
Dans la région, le risque d'un nouvel embrasement est permanent, plus encore depuis plusieurs semaines et le déploiement par la Russie, à la frontière ukrainienne, de dizaines de milliers de soldats.
"On vit dans la peur que la guerre redémarre", souffle Antonina Zaïtseva, 72 ans, une ancienne peintre en bâtiment portant d'épaisses lunettes couvertes de buée.
Dans son quartier, la grande majorité des maisons sont des ruines éventrées par les tirs, carbonisées et criblées d'éclats d'obus.
Même au plus fort des combats, Antonina Zaïtseva, terrée dans une cave, n'a jamais quitté sa rue, où dit-elle, "des Tchétchènes, des cosaques et des volontaires russes" soutenant les séparatistes avaient pris position.
Elle attribue sa survie à un "miracle", des dizaines d'habitants étant morts.
Près du petit marché local, une stèle a été érigée en leur mémoire. Des ours en peluche aux couleurs délavées, recouverts de neige, sont posés près de noms d'enfants.
"Aux victimes civiles de l'agression de la junte de Kiev", indique le monument, formule utilisée à profusion pour dépeindre les autorités ukrainiennes.
Antonina Zaïtseva se dit "bien sûr" pour une union de la région séparatiste de Donetsk avec la Russie, car le pouvoir ukrainien a bombardé sa propre population: "Comment pardonner ça ?"
Depuis 2017, le gaz et l'électricité sont revenus dans son quartier. La Croix-Rouge fournit des matériaux pour reconstruire et distribue des produits alimentaires tous les quatre mois.
Nombre d'habitants touchent désormais aussi leurs retraites des autorités locales, un changement porté au crédit de Moscou.
- La maison Russie -
"La Russie nous verse nos retraites, heureusement, et paye pour l’eau, l’électricité et la liberté", assure Alexandra Lozovskaïa, 69 ans, petite mamie blonde dont le mari a été tué en 2015 en allant chercher du pain.
"Nous nous unirons à la Russie au bout du compte, il faut rentrer à la maison", abonde un voisin, Sergueï, 47 ans, assurant que la vie en Ukraine était "le bordel".
Dans cette région industrielle russophone et russophile, la Russie voisine fait office de mère patrie, trente ans après l'indépendance de l'Ukraine de l'Union soviétique. Moscou y a d'ailleurs distribué des centaines de milliers de passeports.
Certains habitants sont plus réservés, d'autant qu'ils ont des proches de l'autre côté du front, et qu'entre pandémie et conflit, leur rendre visite relève d'un parcours du combattant administratif et sanitaire. Même aller en Russie est compliqué.
"C’est comme une île, personne ne veut de nous en Russie, ni en Ukraine, c’est l’impasse", dit Elena, 49 ans, qui soudainement se met à pleurer. Son fils vit côté ukrainien.
Préférant taire son nom de craintes de représailles, elle accuse aussi à demi-mots les autorités locales de détourner l'assistance destinée à la population.
"Où est passé l'argent de l'aide humanitaire russe ? C'est une bonne question", souligne-t-elle.
F.E.Ackermann--NZN