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De grands industriels, dont Bernard Arnault et Vincent Bolloré, sont convoqués à partir de cette semaine au Sénat, sur fond d'inquiétudes croissantes suscitées par leur mainmise sur la plupart des médias français.
"Jamais dans l'histoire de l'Hexagone une poignée de n'a eu une emprise aussi forte sur les chaînes de télévision, radio, journaux et magazines et, ce en pleine campagne présidentielle", souligne l'historien des médias Alexis Lévrier, maître de conférences à l'université de Reims, dans un entretien à l'AFP.
Le plus emblématique d'entre eux, Vincent Bolloré, premier actionnaire de Canal+, de deux grands groupes d'édition (Editis, Hachette), de nombreux journaux (magazines de Prisma Media, JDD, Paris Match) et de la radio Europe 1, sera auditionné mercredi.
C'est sur sa chaîne d'information CNews, que Eric Zemmour, polémiste d'extrême-droite, a pris son envol pour devenir candidat à la présidentielle.
"Bolloré n'a ni tenu compte des injonctions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), ni de la justice sur Zemmour. Là, il est rappelé à l'ordre par l'autorité parlementaire, il va devoir rendre des comptes", estime M. Lévrier.
Vincent Bolloré, qui avait laissé en 2018 à son fils Yannick la présidence du conseil de surveillance de Vivendi, n'a pas décliné l'invitation du Sénat. Et pour cause: "que l'on soit puissant ou pas, quel que soit son pedigree, on doit répondre aux convocations et venir répondre aux questions des parlementaires", rappelait récemment sur France Inter David Assouline, sénateur socialiste et rapporteur de la Commission d'enquête sur la concentration des médias.
Tout comme Bernard Arnault, PDG de LVMH à la tête des quotidiens Les Echos, Le Parisien et de Radio Classique auditionné jeudi, Patrick Drahi, patron du groupe télécom Altice (BFMTV, RMC) prévu pour le 2 février et le roi du BTP Martin Bouygues (dont le groupe de télévisions TF1 projette de fusionner avec M6), attendu pour le 9 février, pour ne citer que trois des plus puissants patrons auditionnés.
Le Sénat compte remettre fin mars son rapport pour faire la lumière sur les conséquences économiques et démocratiques d'une telle concentration.
- Menace des Gafa
Reste à savoir ce que le président ou la présidente sorti(e) des urnes en fera. Beaucoup jugent en effet obsolète la loi de 1986 relative à la liberté de communication.
Ainsi, dans une tribune du Monde publiée à la mi-décembre, plus de 250 journalistes et professionnels des médias, dont Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, appelaient les candidats à la présidentielle à prendre des engagements pour s'opposer au "fléau" de l'hyperconcentration dans les médias.
Ils réclamaient une "réforme en profondeur" de la loi de 1986, assortie de la création d'un "statut juridique" spécifique pour les rédactions et d'un "délit de trafic d'influence en matière de presse" pour "limiter tout interventionnisme des actionnaires" et "garantir la participation active des rédactions à la gouvernance de leurs médias".
Lors d'une audition au Sénat vendredi, M. Deloire a également appelé l'Arcom, nouvelle entité issue de la fusion du CSA et de la Hadopi, à sévir davantage contre les atteintes à l'indépendance, au pluralisme et à l'intégrité de l'information.
La montée en puissance de mastodontes internationaux, comme les plateformes américaines Netflix et Amazon Prime Video, a toutefois bouleversé les équilibres du paysage audiovisuel français. Et certains ne voient d'autre salut que dans le regroupement des chaînes.
C'est d'ailleurs l'un des arguments avancés pour la fusion TF1-M6, en cours d'examen par l'Arcom et l'Autorité de la concurrence.
"En un temps de quasi monopole des Gafa, l'heure n'est pas à s'inquiéter de la concentration dans le secteur de la TV en France", jugeait récemment à ce sujet auprès de l'AFP l'un des spécialistes du secteur, Patrick-Yves Badillo, directeur de Medi@Lab à l'Université de Genève.
La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, estimait elle aussi la semaine dernière sur France Inter que, pour lutter "contre l'hégémonie des médias mondiaux américains aujourd'hui et peut-être demain asiatiques (...), on a besoin de médias privés et publics forts".
Mais elle précisait: "j'ai toujours mis à mon soutien affiché à la fusion TF1/M6 une condition (...) c'est d'avoir un service public fort".
A.Ferraro--NZN