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Plongés dans la solennité du moment, deux archéologues fouillent le sol d'un terrain militaire en France à la recherche de sépultures d'enfants harkis, enterrés indignement il y a 59 ans: des fouilles historiques ont débuté lundi pour sauver de l'oubli ce pan tragique de l'histoire franco-algérienne.
Pendant près de 60 ans, une végétation de ronces touffues a enseveli ce champ et bois de chênes de Laudun-L'Ardoise (sud), et enfoui dans le passé les fantômes de ces bébés, morts dans le camp de Harkis voisin de Saint-Maurice-L'Ardoise, enterrés sans sépulture décente dans ce cimetière de fortune présumé.
Délicatement, accroupis des heures au sol, deux archéologues de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont entamé lundi ces fouilles à l'aide de truelles et balayettes, a constaté en exclusivité une équipe de l'AFP.
Des peluches, déposées par des anonymes sur les monticules de terre de ce champ récemment débroussaillé, imprègnent le lieu d'émotion.
Les Harkis - Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962) - ont été, à l'issue de ce conflit, abandonnés par la France.
Environ 90.000 d'entre eux et leurs familles ont fui l'Algérie et ont été accueillis en France. Plusieurs dizaines de milliers de personnes furent parquées dans des "camps de transit et de reclassement" gérés par l'armée, aux conditions de vie déplorables.
Parmi les personnes décédées dans ces camps, une grande majorité étaient des bébés morts-nés ou des nourrissons, selon le récit de l'historien Abderahmen Moumen et les témoignages de familles révélés en septembre 2020 dans une enquête de l'AFP.
Un double drame car ces dizaines de bébés ont été enterrés à la va-vite par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs. Avec le temps, les familles de Harkis, relocalisées loin de ces lieux, ont enfoui au plus profond d'elles-mêmes ce passé traumatique.
Entre fin 1962 et 1964, 70 personnes - dont 60 jeunes enfants - décèdent ainsi aux camps de Harkis de Saint-Maurice-l'Ardoise et de Lascours.
Trente-et-une personnes, en grande majorité de très jeunes enfants, sont enterrées à proximité du camp de St-Maurice, selon un registre d'inhumation découvert aux archives par Nadia Ghouafria, fille de Harkis et membre de l'association Aracan.
- "Charge mémorielle" -
L'AFP avait aussi révélé l'existence d'un procès verbal de gendarmerie compromettant, découvert par Mme Ghouafria.
Il atteste que les autorités ont eu connaissance de l'existence de ce cimetière en 1979, mais n'en ont délibérément pas informé les familles alors que les corps ou ossements des enfants auraient encore pu être retrouvés.
C'est la première fois en France que l'Etat demande que de telles fouilles - réclamées par l'Aracan et la "Coordination Harka", créée par le fils de Harkis Hacène Arfi - soient menées.
"Il y a forcément une charge mémorielle importante; on connaît l'histoire de ces familles harkies et la vie qu'elles ont eu dans les camps", déclare à l'AFP Patrice Georges-Zimmermann, responsable des recherches archéologiques à l'Inrap et expert judiciaire.
"Notre mission est de déterminer la présence de sépultures d'enfants ou peut-être d'adultes pour identifier le cimetière", explique M. Georges-Zimmermann.
A terme, "on espère retrouver des squelettes, à condition que l'acidité du sol n'ait pas fait disparaître tout ou partie des squelettes" surtout s'il s'agit de bébé, ajoute M. Georges-Zimmermann.
Pour Pascal Coget, directeur du service départemental à l'Office national des Anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), il s'agit d'"être sûr que ce cimetière est là" afin de "rendre hommage et justice aux gens qui ont été enterrés ici et à leurs proches".
"Par respect pour la douleur des familles, nous avons choisi de recourir à des archéologues qui sont capables" de faire leurs recherches "et de tout remettre en place de façon à ce que le lieu soit sanctuarisé" éventuellement, a-t-il ajouté.
- "Juste retour" -
L'AFP a pu retrouver des proches de bébés figurant sur le registre d'inhumation, qui déplorent que leurs frère ou soeur aient été "enterrés comme des moins que rien", "cachés" puis "abandonnés".
Malika Tabti, 58 ans, a dû "d'abord porter (sa) soeur avant de porter (sa) vie", car elle a été prénommée comme sa soeur décédée à un an et deux mois en février 1963, vraisemblablement de la rougeole, au camp de St-Maurice, et enterrée ensuite dans le cimetière sauvage.
En 1996, elle s'était rendue, sans succès, dans le secteur pour tenter de retrouver le lieu d'inhumation de sa soeur.
Mais 25 ans plus tard, en lisant un récent reportage de l'AFP annonçant la décision des fouilles, Mme Tabti, 58 ans, a eu un déclic: "ça a été comme une bombe... et comme une forme de libération", explique cette directrice des relations publiques d'une grande association humanitaire française.
"Ce drame, cela fait près de 60 ans et j'en ai encore les larmes aux yeux", dit-elle.
Elle souhaite, si des restes de sa soeur étaient retrouvés, pouvoir "la ramener à côté de là où sont inhumés" ses parents. "Parce que ce serait un juste retour".
L.Muratori--NZN