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Jeffrey Sonnenfeld a lancé après l'invasion de l'Ukraine une liste des entreprises choisissant de quitter la Russie, ou d'y rester, à la disposition de tous les consommateurs et investisseurs.
Professeur spécialisé dans la responsabilité sociale des entreprises à l'université américaine de Yale, il a l'habitude de discuter avec les grands patrons.
Il a choisi de monter au créneau après l'attaque de la Russie car il n'y a pas de "juste milieu" possible face à Moscou, explique-t-il dans un entretien à l'AFP.
- Pourquoi avoir lancé cette liste?
Juste après le début de la guerre, une douzaine d'entreprises ont pris l'initiative de couper les ponts avec la Russie, et ce n'était pas celles qui font habituellement les premiers pas en matière de droits humains ou de questions sociétales: les compagnies pétrolières (BP, Shell, Exxon), les sociétés de services aux entreprises (McKinsey, Deloitte et des grands cabinets juridiques), et des géants de la tech (Apple, Oracle, Twitter, Amazon).
Mais on a rapidement vu aussi une flopée d'imposteurs, d'entreprises qui, avec une équipe intelligente de relations publiques, tentaient de s'en tirer avec des messages trompeurs. J'ai mis en place une petite équipe sans idéologie ou affiliation à l'une de ces entreprises pour évaluer objectivement ce que ces compagnies faisaient.
C'était à l'origine une liste en deux catégories, les entreprises qui restent et celles qui partent. Mais on a rapidement réalisé que ce n'était pas suffisant car certaines entreprises diffusaient des messages très vagues et ambigus. On a maintenant cinq catégories, depuis les entreprises se retirant complètement (de Russie) jusqu'à celles qui persistent.
- Qu'est-ce qui a poussé les entreprises à agir?
Pour certaines des sociétés ayant bougé en premier, on peut dire qu'elles agissaient dans leur propre intérêt, parce qu'elles étaient par exemple trop impliquées avec des oligarques et voulaient éviter que leur réputation soit entachée.
Certaines entreprises ayant fait face ces dernières années à des controverses (comme les compagnes pétrolières avec le changement climatique ou les compagnies de la tech avec la protection des données privées) ont utilisé cette opportunité pour montrer qu'elles pouvaient parfois choisir le bon côté.
Et dans certaines entreprises, les employés eux-mêmes se sont révoltés. La génération Z se tient vraiment à certains principes et estime que là où elle achète, là où elle investit et là où elle travaille, a de l'importance. Au sein des grands cabinets de conseil, il y avait vraiment une certaine colère à l'idée de servir le diable.
- Certaines entreprises restant en Russie font valoir qu'elles agissent pour le bien de leurs employés ou pour des raisons humanitaires. N'est-ce pas justifié?
Que des entreprises tentent de justifier leur présence en Russie par des raisons humanitaires ou pour soi-disant prendre soin de leurs employés, c'est révoltant. Cela relève de la pure cupidité. On doit les tenir pour responsables et leur faire honte.
Des compagnies comme Nestlé et Mondelez ont assuré pendant des semaines qu'elles produisaient des produits essentiels. Sur la liste de ces soi-disant produits essentiels il y a les barres KitKat, le chocolat Nesquik, les cookies Oreo (...).
Surtout, (ce positionnement) sape tout l'objectif des sanctions économiques et du retrait volontaire des entreprises. L'idée n'est pas d'apporter du réconfort à la population russe et de leur permettre de continuer à être complaisants. L'idée est de les mettre mal à l'aise, d'augmenter leur stress, afin qu'ils remettent en question leurs dirigeants.
Certains cherchent à être compréhensifs en disant "la population russe n'a accès qu'à de l'information filtrée". Mais les Russes eux-mêmes le savent (...). A eux de remettre en doute ce qu'on leur dit. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils sont volontairement ignorants.
Les Ukrainiens, eux, n'ont pas ce luxe. On leur a jeté une dure réalité à la figure. Les Russes enfreignent des cessez-le-feu, des hôpitaux pour enfants sont bombardés. Il n'y a pas de "juste milieu" ici.
Tous les jours, des entreprises nous font savoir qu'elles sont furieuses (d'être classées dans la liste comme des compagnies opérant encore en Russie). Elles nous font suivre les menaces qu'elles reçoivent de groupes de hackers comme Anonymous. Mais ce n'est pas notre problème, c'est un choix qu'elles ont fait. Et s'il y a des réactions négatives, elles n'ont qu'à changer leur position.
F.Carpenteri--NZN