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Menacé de mort, réfugié en France, l'avocat colombien Daniel Mendoza s'apprête à diffuser la 3e saison de la série documentaire Matarife, qui dénonce le "système narco-paramilitaire" régissant son pays et cumule déjà plus de 40 millions de vues sur les réseaux sociaux.
"Nous avons en Colombie un gouvernement paramilitaire et narco-trafiquant" et "j'ai conçu cette série comme une arme de subversion (...) qui vise à blesser à mort ce système, sans faire couler de sang", souligne Daniel Mendoza lors d'un entretien avec l'AFP près de Toulouse.
Cet avocat, criminologue et journaliste a dû fuir son pays peu après la sortie en mai 2020 de la première saison de Matarife (Le Boucher).
La série relie élite politico-économique, paramilitaires et narco-trafiquants, dont le cartel de Medellin fondé par Pablo Escobar et Juan David Ochoa, morts en 1993 et 2013.
Compilant articles de presse, interviews, photos, vidéos, dossiers judiciaires, elle est centrée sur l'ex-président de droite Alvaro Uribe (2002-2010), mentor de l'actuel chef de l'Etat Ivan Duque.
- L'élite et les narcos -
"Le cartel de Medellin n'aurait jamais été ce qu'il a été si Alvaro Uribe, directeur de l'aviation civile, n'avait octroyé à Pablo Escobar et au clan Ochoa les licences (...) pour que leurs avions décollent remplis de coke et atterrissent pleins de dollars."
Et, "c'est l'appui du cartel de Medellin qui a fait Alvaro Uribe gouverneur, puis président": du doigt, Daniel Mendoza suit le fil rouge reliant, en une vaste toile d'araignée, les photos des protagonistes épinglées sur le mur de sa chambre.
"La finalité de la série est d'utiliser l'information existante (...) et d'emballer cette arme dans un blindage de plomb audiovisuel (...) pour qu'elle touche l'âme des gens et les réveille (...) davantage qu'un documentaire conventionnel", ajoute-t-il à propos du montage saccadé, sur fond de musique techno, où il apparaît lui-même avec ses tatouages.
La saison 1 compte "dix épisodes de six à huit minutes pour que les gens, qui ont peu de crédit sur leur portable, puissent les regarder entre deux arrêts de bus".
Diffusée sur YouTube, partagée via d'autres réseaux sociaux, elle devient virale. Ce succès a un prix: "Des hommes de main me cherchaient pour me tuer."
Daniel Mendoza, né le 8 avril 1972 au coeur de la haute société, a "une notion claire de comment cette élite a dévasté le pays, de sa relation directe avec les massacres (...) pour déplacer les populations et s'approprier les terres."
"La Colombie est gérée par des sociopathes (...) Aujourd'hui, ils me haïssent!" Mais "toute l'information de Matarife est vraie" et jusqu'ici la série "a gagné plus de 30 procès" intentés à son encontre.
Contraint toutefois de se cacher, il est exfiltré par la France et y réalisera la saison 2 pendant l'été 2021.
"La première était pour le peuple colombien; la deuxième, aux épisodes plus longs, pour l'extérieur, pour que le monde voit" ce que vit la Colombie, dont la répression des manifestations de ces dernières années.
- Trois saisons, deux livres -
La saison 3, diffusée début avril et enregistrée au Mexique, en Bolivie et au Pérou, s'adresse au "peuple latino-américain", dévoile-t-il.
"Nous sommes une société d'exilés internes depuis que les Espagnols nous ont fait nier nos racines indigènes (...) nous existons en Amérique latine, mais vivons en pensant Coca Cola, McDonald's, Versace, etc."
En parallèle, la journaliste française Guylaine Roujol sort un livre sur la série et Daniel Mendoza publiera en mai un roman intitulé "El Innombrable" (L'Innommable).
"Il y a un avant et un après Matarife: on appelait Alvaro Uribe +l'innommable+ car quiconque l'identifiait dans un commentaire, recevait vingt avocats et autant de menaces. Aujourd'hui, son nom est crié dans la rue (...) il est traité de mafieux, d'assassin."
Pour autant, l'avocat ne pense pas pouvoir retrouver la Colombie de sitôt, même si la gauche, victorieuse des élections parlementaires de mars, remportait fin mai la présidentielle.
"Ceux qui veulent m'abattre seront encore là (...) dans dix, vingt ans, je pourrai peut-être rentrer et marcher tranquillement dans les rues de ce pays que j'adore", dit-il ému.
Admettant ne pas avoir mesuré l'ampleur des risques pris avec Matarife, Daniel Mendoza ne s'en repent pas: "si je devais renaître mille fois, mille fois je recommencerais".
L.Zimmermann--NZN