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Des cris, des coups de pieds dans les portes, une vitre éclatée. En quelques secondes et une rafale en l'air, l'hôtel est cerné, ses occupants stupéfaits se retrouvent au sol les poignets ligotés ou les mains contre le mur, une kalachnikov pointée dans le dos.
Les "Spetsnaz" (forces spéciales) de la police de Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine, sont à la recherche d'un groupe de suspects, ces "saboteurs" qui agissent au service de l'envahisseur russe derrière les lignes ukrainiennes.
Arrivés la veille dans cette sage pension de famille, quatre voyageurs à la mine peu engageante et aux bras tatoués ont attiré l'attention des services de sécurité. Ils sont embarqués manu militari pour "vérifier leur identité".
Alors que l'armée russe campe aux portes de Kharkiv, bombardée quotidiennement, les "Spetsnaz" de la police tentent de "garantir l'ordre et de protéger la population" dans une ville soudainement plongée depuis un mois dans la guerre.
Une équipe de l'AFP a pu suivre ces forces spéciales, version ukrainienne du RAID et du GIGN français, ou des SWAT américains, en patrouille pendant le couvre-feu nocturne.
La soirée a commencé sur des chapeaux de roue. Frappée par une roquette ou un missile, une station service du district de Saltivka, est en feu.
L'incendie rougeoie dans la nuit, illuminant l'horizon. Dans une ville aux rues absolument désertes, plongée dans une quasi-complète obscurité, la camionnette file en direction des flammes de plusieurs dizaines de mètres de haut. Les policiers d'élite circulent dans des fourgons blancs qui servaient il y a encore quelques semaine aux transports de fonds.
Cagoules et casques lourd sur la tête, harnachés de leur gilet pare-balles, ils se déploient à bonne distance du brasier. Apparemment pas de victime, "les pompiers sont en train d'arriver", lâche Valery, "24 ans de police" et chef de la patrouille.
- Laser et vodka -
Le colosse rouquin pointe du faisceau de sa puissante torche, accrochée au canon de son AK-47, les étages des barres d'immeubles voisins, apparemment tous inhabités. Kharkiv s'est vidée d'un tiers de ses 1,5 million d'habitants selon les autorités, en particulier ses quartiers nord et nord-est les plus exposés à l'artillerie russe, et habituelle zone d'opération de nos "Spetsnaz" de la soirée.
"Les deux premières semaines (de la guerre), il y avait beaucoup de saboteurs qui essayaient de rentrer dans la ville depuis un peu partout, maintenant il n'y en a presque plus", commente Valery. "Mais il peut rester des espions qui donnent aux Russes des coordonnées de nos forces pour les bombardements".
"Il y a eu aussi pas mal de pillages dans les habitations abandonnées, mais ils ont presque cessé, la loi a été changée et maintenant tu prends jusqu'à 10 ans de prison pour ça", explique l'officier de sa voix de stentor.
La patrouille est soudainement intriguée par l'éclair d'un point rouge, un possible "laser" d'arme de précision. Fausse alerte, après vérification avec des jumelles de vision nocturne.
Elle reprend sa route, à l'affût du moindre mouvement suspect.
Personne ne circule de nuit dans Kharkiv fantôme, à part de rares voitures de police qui, à l'approche du fourgon des "Spetsnaz", s'identifient immédiatement par un coup de gyrophare bleu. De toute façon, "personne n'est autorisé à se déplacer sans le mot de passe".
Une vieille guimbarde, warning allumés, pointe son nez au coin d'une rue. "Eteins les phares!". Elle est immédiatement braquée par les policiers, ses deux occupants sortis sans ménagement et interrogés.
Le conducteur raconte avoir voulu "ramener sa femme" on ne sait où, les deux semblent passablement éméchés. La voiture repart au pas tout feux éteints, va s'encastrer sur un trottoir. Ca jure, ça titube... Ces deux là n'ont pas l'air d'avoir des projets très criminels.
Un peu plus loin, c'est un type à bonnet rouge et anorak crasseux qui marche, inexplicablement, seul dans la nuit au milieu de la ville fantôme. Il dit qu'il "cherche une copine" pour ce soir, lui aussi sent la vodka. Même traitement: kalach sous le nez, fouille au corps, examen minutieux du téléphone. "On se méfie toujours, l'expérience...", justifie un policier. L'inconnu est amené au poste sous bonne garde.
- "Tenir l'arrière" -
La patrouille repart, direction une cave d'immeubles où une famille a trouvé refuge contre les bombes, et des inconnus ont tiré sur le soupirail de leur abri. Une dizaine de policiers est déjà sur place à gérer l'affaire, on n'en saura pas plus, inutile de s'attarder.
"L'armée est sur le front, nous tenons l'arrière, nous garantissons l'ordre dans Kharkiv et nous protégeons les citoyens", souligne Valery. "Si nous n'étions pas ici, l'armée au combat serait affaiblie".
"Hier nous avons évacué des familles avec des enfants sur le site d'une frappe russe. Le gamin était dans notre camionnette, il était choqué, il demandait pourquoi l'armée de Poutine est ici", gronde l'officier.
"Quand il y a une explosion, un feu, nous aidons à l'évacuation des blessés, à boucler et sécuriser le périmètre, à mettre les familles à l'abri". "Notre rôle est cent fois plus important en temps de guerre", insiste Valery.
"A l'origine, nous sommes un groupe d'intervention, en charge des arrestations", explique un autre policier, Sergueï, "ingénieur de formation, diplômé en philo, et surtout sportif" qui "ne sait toujours pas comment il s'est retrouvé dans la police".
Un dernier crochet dans un parc sur une colline "où les jeunes amoureux aimaient à venir avant l'invasion", s'émeut Valery, devenu soudain comme un gentil géant. "Regardez, pas une lumière, les fenêtres éclairées se comptent sur les doigts d'une main. Je n'ai jamais vu ma ville aussi silencieuse et si triste", se désole-t-il.
"Mais au moins c'est propre, les poubelles sont ramassées, les services municipaux fonctionnent", tente-t-il de se consoler.
Une série de lourdes explosions déchire le silence dans un quartier voisin. Valery lève brusquement le nez vers le ciel étoilé: "Attention! Une arrivée (de tirs)!".
Ce jour-là, 380 bombardements à la roquette ont visé Kharkiv, ainsi qu'une cinquantaine de tirs de mortiers et de chars, selon les autorités.
"Aujourd'hui, nous aidons directement la population d'une ville en guerre. Ce travail n'est-il pas important?", interpelle-t-il. "Etre un Spetsnaz, ce n'est pas juste un mot, nous devons être à la hauteur, y compris pour aider les gens sous les bombes".
N.Fischer--NZN