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Ils sont corses ou "Français du continent" installés de longue date sur l'île méditerranéenne. Ils font partie de la "majorité silencieuse" qui n'a pas manifesté après la mort d'Yvan Colonna et vit mal les semaines de tensions qui ont suivi.
Signe du climat actuel en Corse, ces personnes ont toutes demandé l'anonymat pour témoigner de leur ressenti auprès de l'AFP, après l'agression mortelle du militant indépendantiste Yvan Colonna, le 2 mars, à la prison d'Arles (Bouches-du-Rhône), où il purgeait une peine de prison à perpétuité pour l'assassinat du préfet Claude Erignac, tué en 1998 à Ajaccio.
Dans cette île de 340.000 habitants, la manifestation la plus large a rassemblé de 7.000 personnes, selon les autorités, à 15.000, selon les organisateurs, à Bastia le 13 mars. Loin des 40.000 qui avaient envahi les rues corses il y a 24 ans, pour dénoncer l'assassinat du préfet.
"La majorité silencieuse est tétanisée, elle n'ose pas s'exprimer", témoigne Dominique (tous les prénoms ont été modifiés), ingénieur "continental" de 59 ans, en Corse depuis 29 ans, qui refuse de "laisser la main à une minorité". "Ca fait 50 ans que ça dure. C'est toujours porté par une minorité qui, en fait, est en train de s'approprier la Corse", renchérit Livia, commerçante corse de 51 ans.
Tous jugent intolérable l'agression d'Yvan Colonna et critiquent l'attitude de l'Etat dans ce dossier, comme Chiara, Corse de 34 ans, qui exerce une profession libérale. "Qu'il meure dans ces circonstances.... C'est l'Etat qui a fait de lui un martyr, pas les Corses. (...) Il a été condamné pour un acte que je dénonce, comme plein de gens autour de moi. (...) Mais quand on réserve un traitement injuste, même au pire d'entre nous, on ouvre la voie à ça", estime-t-elle.
Mais "Personne, autour de moi, ne glorifie Yvan Colonna", insiste Chiara.
Pas question non plus d'approuver les violences qui ont suivi, les slogans provocateurs - "Etat français assassin", "Gaulois de merde", "Français dehors", "Gloire à toi Yvan" -, ou les drapeaux mis en berne sur la Collectivité de Corse.
Johanne, fonctionnaire "continentale" de 53 ans, en Corse depuis 16 ans, défend elle aussi le rapprochement des prisonniers corses dans la prison de Borgo: "Mais la violence, et faire d'Yvan Colonna un héros, ça non!"
- "Corses bleu-blanc-rouge" -
Quant à l'autonomie, au coeur des discussions qui vont s'ouvrir entre Etat et élus corses, peu y croient.
Pour beaucoup, ce ne serait pas le désir d'autonomie qui expliquerait l'élection confortable des nationalistes à la tête de la Collectivité de Corse depuis 2015. "C'était avant tout le rejet du clanisme, de droite et de centre gauche" incarné par les Rocca-Serra (RPR), les Zuccarelli (PRG) ou les Giacobbi (gauche), estime Louise, enseignante "continentale" de 58 ans, en Corse depuis 31 ans, qui craint que l'autonomie "soit la porte ouverte à beaucoup plus de mafia", comme en Sicile.
Dominique estime, lui, que si l'Etat "lâche sur la Corse, il fait exploser la République française" avec les velléités similaires guyanaises, basques, bretonnes ou alsaciennes.
"L'autonomie, c'est impossible", renchérit Johanne, en rappelant que "les référendums sont obligatoires pour y passer": "Et la majorité silencieuse justement va voter contre, enfin j'espère", se rassure-t-elle, estimant qu'il y a "beaucoup de Corses bleu-blanc-rouge".
"Je ne suis pas nationaliste. Ai-je le droit ? Des milliers de femmes et d'hommes se posent la question aujourd'hui", a lancé jeudi à l'Assemblée de Corse Laurent Marcangeli, chef de l'opposition de droite, appelant lui aussi à un "référendum" sur un éventuel projet d'autonomie.
Dans une tribune au quotidien Le Monde, Jean-Charles Orsucci, maire LREM de Bonifacio, a, lui, partagé ses tiraillements de "corse par (s)es origines et français par (s)a naissance", défendant une "Corse au sein d'une République française girondine et tolérante".
Livia, elle, réclame d'abord "un bilan" sur "les pouvoirs étendus" dont dispose déjà la Corse: "On ne sait pas gérer nos déchets, on les envoie sur le continent. Quant à la terre, j'entends des discours +on n'est plus chez nous+. Mais c'est maurrassien, c'est le discours de Zemmour pour moi, je ne supporte plus. Je n'aurais pas mon commerce, je partirais", tranche cette insulaire.
Une envie de quitter l'île qui taraude aussi Johanne.
Tous s'inquiètent de l'avenir: "On a tous peur de ce que ça peut donner", dit Chiara, craignant des violences "intra-insulaires" .
A.Weber--NZN