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Valeriï Koutcherenko a reçu la plus haute décoration militaire ukrainienne, mais il n'a plus d'avant-bras, amputés après une blessure au combat, et sa mission est désormais de réapprendre à vivre avec deux prothèses.
C'était un jour d'octobre 2023. Le sergent Koutcherenko, un gaillard de 30 ans, conduisait alors une attaque dans la région orientale de Lougansk quand l'explosion d'une grenade a déchiqueté ses bras, une de ses jambes et a atteint ses yeux.
Après ces blessures, il se voit décerner le titre de "Héros de l'Ukraine".
Sur son lit d'hôpital, il reçoit la visite du président Volodymyr Zelensky qui lui assure que "personne n'oublie de tels héros".
A l'instar de Valeriï Koutcherenko, des milliers de soldats ukrainiens ont été grièvement blessés et doivent se réinsérer dans un pays peu équipé pour les personnes handicapées.
"J'ai de nouveaux bras et je dois m'y habituer. Il me faut réaliser que c'est pour le reste de ma vie et que c'est mon avenir", dit Valeriï Koutcherenko, en treillis militaire, avec, au sommet du crâne, une crête iroquoise en guise de coiffure.
La Protez Foundation, une ONG américaine, lui a offert ces bras bioniques - des prothèses mobiles et motorisées de nouvelle génération - grâce à une campagne de financement participatif.
Fabriqués par une start-up ukrainienne, Esper, ils fonctionnent avec des batteries électriques rechargeables et sont reliés aux muscles dans ses moignons.
- "Courbe d'apprentissage" -
Après la pose de ces prothèses, l'ancien soldat raconte que la première chose qu'il a voulu faire a été d'"aller aux toilettes de façon autonome, parce que c'était un gros problème pour moi". Une chose qui reste pour le moment difficile.
En revanche, "il peut manger tout seul", raconte à l'AFP sa femme Veronika, 25 ans.
Le couple a deux filles de deux et sept ans.
En testant sa main bionique, Valeriï Koutcherenko parvient à soulever une bouteille d'eau jusqu'à sa bouche.
Puis elle glisse et Veronika la rattrape. A la tentative suivante, il sert si fort la bouteille qu'il l'écrase.
En voyant ça, Veronika plaisante en affirmant que c'est précisément pour cela qu'il a très peur d'uriner avec ses mains bioniques.
"Il a besoin d'apprendre, de s'entraîner. Et ensuite il y aura un résultat", résume-t-elle.
Tout le monde n'a toutefois pas encore la chance d'avoir un tel appareillage.
La Protez Foundation a une liste d'attente de 1.600 militaires blessés.
Le spécialiste américain Jim Henrichsen, qui lui a posé ses nouveaux bras, souligne que les soldats qu'il côtoie sont "forts" mais beaucoup d'entre eux ne se rendent pas compte des difficultés qui les attendent.
Apprendre à utiliser une prothèse demande beaucoup de travail. "Il y a une courbe d'apprentissage."
Dans la vie courante en Ukraine, le handicap est aussi perçu différemment.
"La plupart des personnes (...) sont compréhensives (...). Mais il y a aussi beaucoup de gens qui ne comprennent pas", raconte Valeriï Koutcherenko.
Récemment, il utilisait encore un fauteuil roulant à Kiev et trouve que la capitale ukrainienne n'est "pas adaptée du tout" aux personnes à mobilité réduite.
- "Je peux le faire" -
A la clinique de la Protez Foundation, des baies vitrées permettent aux passants de voir les patients amputés. C'est délibéré.
Un soldat blessé est "par deux fois un héros", explique le directeur de la fondation, Ioury Arochidzé.
"Les Ukrainiens et en particulier les habitants de Kiev doivent voir et comprendre les conséquences de la guerre", approuve Valeriï Koutcherenko.
Avec sa médaille, il est quant à lui censé recevoir gratuitement un appartement mais, pour l'instant, il en loue un au sud de la capitale, où l'AFP a passé une journée avec lui.
Le matin, sa femme l'aide à s'habiller.
Pour certaines tâches, il préfère utiliser une prothèse mécanique avec des crochets, comme pour attraper une tasse de thé ou une cigarette.
Au petit-déjeuner, sa fille aînée Valeria lui verse du lait et lui donne à manger avec une fourchette.
Puis, plus tard, pour sortir, il enfile l'un de ses bras bioniques et part la chercher à l'école.
Valeriï Koutcherenko, qui avait déjà combattu entre 2015 et 2017 avant de se réengager au moment de l'invasion russe en 2022, aimerait devenir instructeur militaire.
"Je ne pourrai plus combattre mais je pourrai toujours aider les forces armées", estime-t-il.
Dernièrement, il a rendu visite aux soldats de son unité et a même tiré avec un fusil d'assaut. C'était pour leur montrer que "je suis là, je suis vivant et je peux le faire".
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N.Fischer--NZN