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Au sommet de l'une des collines de Dien Bien Phu, dans le nord-ouest du Vietnam, sous une pluie battante, William Schilardi prend à témoin la délégation française : "Regardez la belle vue... Mais ici, il y a des cadavres", lance l'ancien combattant, en désignant les anciennes tranchées.
Pour la première fois, le Vietnam a invité deux membres du gouvernement français aux célébrations décennales de la bataille du 7 mai 1954, placées sous le signe de la réconciliation avec l'ancienne puissance coloniale.
La bataille constitue un symbole d'immense fierté pour l'Armée populaire du Vietnam, autant qu'elle a laissé le souvenir d'une humiliation militaire pour les Français.
Mais des deux côtés demeure le poids des lourdes pertes humaines -- 13.000 morts ou disparus dont 10.000 parmi les indépendantistes du Viet Minh.
Pour les trois des derniers survivants français invités aux célébrations -- Jean-Yves Guinard, William Schilardi, et André Mayer --, le souvenir de Dien Bien Phu ne les a jamais vraiment quitté.
"Ce pays nous a séduits", lance Jean-Yves Guinard, 92 ans. "Mais cela ne suscite pas de l'oubli en nous. Je viens au nom de mes camarades disparus."
Le colonel, ancien membre du 8e bataillon de parachutistes coloniaux, a tenu lundi à monter à pied au sommet de la colline Béatrice, malgré les averses qui ont rendu le chemin boueux et glissant.
- Milliers de morts -
A ses côtés, William Schilardi, 90 ans, évoque les combats au couteau et à la baïonnette dans les kilomètres de tranchées creusées dans la plaine, à la frontière du Laos.
Lors de l'ascension, "j'ai eu des flashs (...) Dans les tranchées, j'avais vu des membres, des cadavres... Je ne peux pas vous en dire plus", lâche-t-il, la gorge nouée par l'émotion.
La colline Béatrice -- chaque position française à Dien Bien Phu avait été surnommée d'un prénom féminin -- tombe dès les premières heures de l'assaut du Viet Minh, lancé le 13 mars 1954 vers 17h00.
Très vite, les forces coloniales comprennent qu'elles ont sous-estimé la puissance de feu de leurs ennemis, qui ont assemblé dans les collines encerclant Dien Bien Phu des canons, acheminés en pièces détachées sur des centaines de kilomètres dans la jungle et les montagnes et remontés sur place.
Après 56 jours de déluges d'obus et d'affrontements au corps à corps, la France compte plus de 3.000 morts ou disparus parmi les soldats de différentes nationalités se battant sous le drapeau tricolore.
Lors de la reddition du colonel Christian de La Croix de Castries, "on vivait dans cette atmosphère d'humidité et de pluie qui nous transperçait", se souvient William Schilardi. Aujourd'hui, c'est un soldat vietnamien qui le soutient d'un bras et l'abrite sous un parapluie.
Dans un moment de flottement, il confie entendre encore résonner "les sanglots, les cris" de la bataille.
Sur les quelque 10.000 hommes faits prisonniers à la chute du camp retranché, près de 70% ne retrouveront pas leur famille -- morts ou tués durant la longue marche imposée par leurs vainqueurs ou dans des camps de détention.
- "Remarquable!" -
Les derniers témoins de l'Indochine transmettent l'histoire d'un conflit souvent éclipsé par la guerre d'Algérie qui a éclaté quelques mois plus tard, en 1954.
Devant le musée de la Victoire de Dien Bien Phu, des habitants et des touristes locaux ont offert dimanche un bain de foule inattendu aux trois nonagénaires.
Une famille de Vietnamiens vêtus aux couleurs du drapeau national ont posé pour un selfie avec Jean-Yves Guinard, tout sourire. "L'accueil est remarquable!", s'exclame-t-il.
Le Tien Bo, un ancien soldat de 64 ans, a serré la main d'un autre ancien combattant : "C'est en signe d'amitié. Ils étaient dans l'autre camp, mais c'était lors de la guerre. Aujourd'hui, ils sont les bienvenus au Vietnam."
Les deux vétérans interrogés par l'AFP regardent d'un bon œil la réconciliation avec une terre à laquelle ils restent attachés.
Eux-mêmes ont œuvré dans des associations qui ont bâti des ponts entre les jeunesses des deux pays dans leur vie d'après.
Mais impossible pour eux d'oublier leurs frères d'armes des troupes coloniales auxquels ils doivent la vie sauve : "J'ai mis toute ma vie à pouvoir me relever", souffle William Schilardi. "C'était l'enfer."
N.Fischer--NZN