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Dans l'ouest de la Birmanie, des bâtiments éventrés et tas de débris témoignent des explosions et combats qui ont chassé la junte de la ville de Pauktaw. Mais ses habitants attendent toujours de regagner leur maison, faute de sécurité.
Les combattants de l'Armée d'Arakan (AA) ont annoncé en janvier la prise de ce port de quelque 20.000 habitants de l'Etat de Rakhine, infligeant un revers majeur aux généraux au pouvoir depuis le coup d'Etat de 2021.
Ces derniers mois, le pouvoir central a reculé dans plusieurs régions frontalières, au profit de ses opposants, politiques ou représentant une minorité ethnique, qui espèrent mettre un terme à l'emprise militaire en place depuis des décennies.
Mais dans la ville de Pauktaw, la puissance de feu de l'armée a laissé de profondes cicatrices, les habitants, éparpillés dans des villages alentours, craignent une nouvelle flambée de violence.
Tous ceux que l'AFP a interrogés ont requis l'anonymat pour des raisons de sécurité.
"Nous avons peur d'eux (l'armée)", déclare l'un d'eux.
"Nous ne savons pas ce qu'il va se passer, ou quelle genre d'arme ils vont utiliser contre nous si on retourne chez nous (...) On ne peut pas détecter leurs frappes aériennes, ni leurs bombes, et on sera tué s'ils nous attaquent", estime-t-il.
Des images prises par des habitants et obtenues en exclusivité par l'AFP montrent des rues silencieuses, à l'exception de chants d'oiseaux et du bruit de fouilles des combattants de l'AA qui passent au crible les amas de débris et de tôle ondulée.
- Fuite en panique -
Près du marché, habituellement animé par les vendeurs de crabes et de crevettes tigrées, un panneau publicitaire d'un opérateur téléphonique, en lambeaux, flotte au-dessus de la porte d'entrée d'une boutique détruite.
Les réseaux internet et de téléphone ont été coupés dans la ville.
L'AA combat la junte depuis des années par affrontements sporadiques, en réclamant une autonomie accrue pour l'ethnie Rakhine qui vit près de la frontière avec le Bangladesh.
Le groupe a lancé récemment une offensive d'envergure au moment où son adversaire est fragilisé, contesté par diverses oppositions dans plusieurs régions.
Afin d'effacer les pertes concédées au sol, les généraux de la junte misent de plus en plus sur leur avantage dans les airs.
Leur armée de l'air vise notamment les communautés civiles soupçonnées d'être acquises à l'opposition, dénoncent des groupes de défense des droits humains.
Quand un hélicoptère militaire a survolé Pauktaw et a commencé à tirer, en novembre dernier, beaucoup ont fui en panique sans rien pouvoir emporter avec eux.
Même la casserole de riz tout juste préparée, "nous n'avons pas pu (la) manger", décrit une habitante réfugiée dans un village proche.
"Nous n'avions pas d'argent quand nous sommes partis, seulement quelques bijoux en or. Nous avons essayé de les mettre en gage, mais ce n'était pas facile. Le taux d'intérêt était trop haut", poursuit-elle.
Les combats, qui entrent dans leur quatrième année, ont jusqu'ici déplacé plus de 2,7 millions de personnes à travers le pays, selon les Nations unies.
Depuis sa prise de Pauktaw en janvier, l'Armée d'Arakan n'a pas autorisé les habitants à revenir, en arguant du danger des bombardements aériens de la junte, sauf pour récupérer des objets personnels.
- Vols -
Venu vérifier l'état de sa maison, un homme l'a retrouvée détruite en partie, sans la boîte contenant ses économies, qui a disparu, a-t-il affirmé.
Une femme a constaté que tout ou presque avait été volé chez elle, jusqu'aux filets de pêche de son père.
"Je suis tailleuse et j'ai heureusement réussi à sauver mes machines à coudre", dit-elle.
Durant les combats, les deux camps ont pillé et détruit des bâtiments, selon la presse locale.
En mars, l'Armée d'Arakan a annoncé qu'elle allait "enquêter" sur les cas signalés de pillage de ses membres.
Au fil d'affrontements parfois intenses l'AA a progressé dans l'Etat de Rakhine, dans des zones frontalières de l'Inde et du Bangladesh.
Le groupe ethnique s'est fixé l'objectif de prendre la capitale provinciale Sittwe, dernier bastion de la junte dans la région et important noeud commercial, situé à 25 kilomètres de Pauktaw.
- "Revanche" -
En avril, les habitants de Sittwe ont été prévenus de l'imminence d'une bataille "décisive".
Certains d'entre eux ont raconté à l'AFP que l'armée limitait les voyages hors de la ville, par route ou bateau, et que le prix de denrées alimentaires de base, comme le riz et les oeufs, avait doublé.
La population déplacée de Pauktaw s'inquiète de l'escalade du conflit dans la région.
"Je suis triste qu'on ait quitté notre maison", a concédé un habitant.
"J'ai prêté sur gage mon collier pour 18 lakhs (environ 800 euros au taux de change officiel), donc on a de l'argent pour vivre. J'espère encore pouvoir le récupérer", poursuit-il.
D'autres personnes interrogées évoquent leur envie de revanche.
"Je n'ai pas rejoint l'Armée d'Arakan pour ne pas laisser mon enfant", explique une femme. Mais si ce n'était pas le cas, "je les rejoindrais et je me battrais", dit-elle. "Je ne serai satisfaite qu'une fois que j'aurai pris ma revanche."
O.Pereira--NZN