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En réélisant Emmanuel Macron dimanche, les Français ont fait le choix de la continuité, au centre, mais le pays en ressort fragmenté et l'extrême droite légitimée, selon les analystes.
Le président sortant peut se prévaloir d'une victoire nette (de 57,6% à 58,5% selon les estimations) et d'une première historique sous la Vème République hors période de cohabitation, mais il devra savoir composer s'il veut préserver l'unité d'un pays coupé en deux et où les extrêmes ont gagné du terrain.
En réalisant son meilleur score (autour de 42%), la candidate du RN Marine Le Pen, qui aura fait une campagne de proximité jugée bonne par une majorité de Français selon un sondage Ifop, démontre qu'elle représente désormais une large fraction de la population, sur une posture antisystème et antiélites, et que l'extrême droite n'a plus l'effet de repoussoir.
Pour Frédéric Dabi, directeur de l'institut Ifop, "le rapport de force n'aura jamais été aussi serré pour un représentant du FN/RN accédant au second tour" et qui obtient son meilleur score jamais réalisé.
D'autant plus que c'est la troisième présidentielle sur cinq en 20 ans où un membre de la famille Le Pen, héritière de la droite maurrassienne, accède au second tour.
Mais, contrairement à 2002 et 2017, le "front républicain" n'est plus aussi mobilisateur et le vote en faveur de Mme Le Pen devient "de plus en plus un vote d'adhésion et non protestataire", souligne M. Dabi.
Si l'on ajoute à cela le poids des abstentionnistes (28%), dont certains notamment parmi les jeunes ne se reconnaissent plus dans ce champ politique, c'est toute une frange des Français qui n'aura pas fait le choix d'Emmanuel Macron.
Il devra en tenir compte dans sa manière de gouverner au risque sinon d'une explosion sociale.
Il a mené campagne sur un "programme très polarisant" notamment sur les retraites, souligne à l'AFP la politologue Chloé Morin même s'il a aussi promis de se renouveler et effectué un virage vert lorgnant les 22% des voix obtenus au premier tour par le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon.
Lors de ce premier tour, "on a bien vu dans les urnes que ce sont les votes les plus radicaux et les plus différents d'Emmanuel Macron qui n'ont fait que progresser, alors que les visions plus modérées de LR, du PS ou des Verts s'effondraient", ajoute-t-elle.
A tort ou à raison, Emmanuel Macron reste adoubé de l'image d'un président des "favorisés" et la sociologie électorale révèle, de facto, une nette fracture entre deux France, l'une qui s'en sort globalement sans forcément être privilégiée, et l'autre qui se considère comme délaissée, antimondialisation.
Le phénomène n'est pas propre à la France et est visible ailleurs en Europe.
M. Macron réussit ainsi ses meilleurs scores dans les grands centres urbains, auprès des personnes âgées et catégories sociales les plus aisées, selon les sondages. C'est tout le contraire pour Mme Le Pen.
- "Plus difficile à gouverner" -
Au-delà de la bataille des valeurs, il a sans doute aussi bénéficié auprès de cet électorat de sa gestion de la crise du Covid-19 et, plus globalement, de la peur du vide lié au changement radical qu'aurait représenté une victoire de l'extrême droite.
Mais pour celui qui a dû gérer plusieurs crises au cours de son premier quinquennat, il devra manier dans le second l'art du compromis s'il veut éviter un "troisième tour" social où risquent de converger tous les insatisfaits sur les braises encore chaudes de la crise des "gilets jaunes".
"Je pense que ce sera un mandat super compliqué", confiait un cadre de la majorité avant le vote.
L'élection a "renforcé l'idée que le gouffre se creuse entre une partie de la France et les responsables politiques", renchérit la politologue Chloé Morin.
"Le pays sera forcément plus difficile à gouverner dans les cinq ans qui viennent", ajoute-t-elle.
Cette fracture inquiète du côté de la majorité notamment dans la perspective des législatives en juin, certains responsables parlant même de "crise institutionnelle" potentielle.
"On ne dirige pas un pays avec un socle électoral qui est uniquement constitué d'urbains et de personnes âgées", résume laconiquement un membre du gouvernement. "Cela ne peut pas fonctionner. Il y a donc un travail de recouture", dit-il.
D'autant que la présidentielle confirme la recomposition (ou décomposition) du paysage politique entamée il y a cinq ans avec deux nouvelles forces politiques représentées par M. Macron et Mme Le Pen et l'effondrement des partis traditionnels de droite comme de gauche.
Les législatives en juin pourraient encore accentuer cette fracture du fait du mode de scrutin majoritaire avec des extrêmes sous-représentés et les partis LR et PS, toujours bien implantés localement, sur-représentés.
Pour Mme Morin, les oppositions radicales "seront donc davantage dans une opposition médiatique ou dans la rue que dans une opposition parlementaire ou dans une culture de compromis" avec les risques qui vont avec.
Et selon un sondage Ipsos dimanche, 77% des Français disent s'attendre à des troubles ou tensions dans le pays dans les mois à venir.
M.Hug--NZN