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L'armée ukrainienne forme déjà des pilotes pour les chasseurs américains F-16, elle va désormais devoir se familiariser en urgence avec les Mirage français. Comme pour l'ensemble de son arsenal depuis le début de la guerre, Kiev jongle entre les systèmes d'armes.
A trois jours des élections européennes, le président Emmanuel Macron a annoncé que la France fournirait à Kiev des Mirage 2000-5. Un modèle de plus aux côtés des MIG-29 et autre Sukhoi de tous types et de toutes générations que les Ukrainiens opèrent.
"Le dilemme de l'intégration F-16 - Mirage fait partie d'une tendance lourde pour les forces armées ukrainiennes depuis 2022", rappelle à l'AFP Ivan Klyszcz, du Centre international pour la défense et la sécurité en Estonie.
Bien des armées dans le monde disposent de plusieurs types d'avions de chasse. Mais Kiev est dans l'urgence de la guerre et elle a déjà dû batailler pour intégrer les systèmes d'armes occidentaux à ceux hérités de la période soviétique.
"Les ingénieurs militaires ukrainiens ont été agiles dans cette adaptation", note le chercheur.
Le président Volodymyr Zelensky, en visite à Paris jeudi et vendredi, répète sans relâche ses besoins en matière de défense aérienne face à l'armée russe. Notamment pour faire reculer l'artillerie ennemie et intercepter missiles et drones.
"L'essentiel des frappes aériennes russes sont tirées depuis le territoire russe", note Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES).
"Avec l'autorisation de tirer sur la Russie, les Ukrainiens repoussent potentiellement la limite à partir de laquelle les avions russes pourront tirer à distance de sécurité".
- "Peu de restrictions" -
L'Ukraine avait annoncé en juillet 2023 la création d'une "coalition" de 11 pays pour la formation de ses pilotes au F-16, avec le Royaume-Uni, le Canada et des pays européens dont la France.
Après un feu vert de Washington, les Pays-Bas et le Danemark se sont engagés en août à livrer 61 appareils. La Norvège a suivi, puis la Belgique, dernier pays en date à promettre 30 avions de combat, le premier cette année et la suite d'ici 2028.
Mi-mai, le chef de Etat ukrainien avait affirmé à l'AFP avoir besoin de 120 à 130 F-16 pour obtenir la parité aérienne avec la Russie.
Disposer d'appareils venant de pays différents est stratégiquement intéressant, relève James Rands, de la société de renseignement privé britannique Janes.
Certains pays refusent en effet que Kiev utilise les armes qu'ils lui livrent pour frapper en Russie. Mais "la France est de plus en plus volontariste sur la façon d'utiliser ses armes. De fait, les Mirage devraient arriver avec peu de restrictions".
L'annonce de Paris pose pour autant nombre de questions. Le chef de l'Etat a évoqué entre cinq et six mois pour former les pilotes, mais plusieurs experts mettent en doute ce délai.
Le premier pilote ukrainien sur F-16 a "probablement" entamé sa formation en août dernier, estime ainsi James Rands. "Nous pensons que les premiers F-16 arriveront d'ici un mois ou deux". Soit dix mois environ.
- Paris à "contretemps" -
Ni Emmanuel Macron ni le ministère des Armées n'ont par ailleurs précisé le nombre d'appareils concernés. La Grèce dispose de plusieurs exemplaires et pourrait éventuellement en céder une partie.
Mais "pour qu'ils aient un effet opérationnel, il en faudrait au minimum entre 30 et 40, donc deux escadrons", prévient Pierre Razoux.
Or le chiffre devrait tourner autour de la vingtaine, pronostique Léo Péria-Peigné, de l'Institut français des relations internationales (IFRI).
"Les F-16 font du air-sol (engin aérien sur une cible terrestre, ndlr), les Mirage seulement du air-air (engin aérien sur une cible aérienne) à priori, donc c'est assez complémentaire", relève-t-il.
Mais "on est un peu à contretemps. Il y avait une volonté des pays de l'Otan d'unifier l'effort aéroterrestre sur les F-16. J'ai du mal à comprendre la logique".
La Suède a en effet renoncé, le mois dernier, à livrer des avions de chasse Gripen, répondant à une demande de pays partenaires de privilégier d'abord la livraison des F-16.
Paris semble donc faire cavalier seul avec ces Mirage.
"Le timing est discutable", commente Justin Bronk, du think tank britannique Rusi. "Le Gripen était plus adapté aux besoins opérationnels ukrainiens que le Mirage 2000", assure-t-il, ajoutant qu'un gros travail de formation au Gripen avait déjà été fait pour l'avion suédois.
Le chasseur français constitue "probablement une distraction inutile" pour un pays qui manque déjà cruellement d'experts parlant suffisamment l'anglais, encore moins le français, ajoute l'analyste.
Mais le président Zelensky "n'est pas politiquement en capacité de dire non".
E.Leuenberger--NZN