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Les autorités boliviennes ont fait défiler jeudi des détenus menottés devant les médias, annonçant 17 arrestations au lendemain du coup d'État manqué dans un pays en proie à une grave crise économique.
La tempête institutionnelle n'a soufflé que quelques heures mais suffisamment pour laisser apparaître les fragilités du pays alors que s'aiguisent les appétits en vue de la présidentielle de 2025.
Avant son arrestation par la police, puis celle du chef de la Marine Juan Arnez Salvador --les deux hommes sont poursuivis pour "soulèvement armé et terrorisme" et encourent jusqu'à 20 ans de prison--, le général Zuniga avait dit vouloir "restructurer la démocratie, d'en faire une véritable démocratie (...) Pas celle de quelques-uns, pas celle de quelques maîtres qui dirigent le pays depuis 30 ou 40 ans".
Il a aussi affirmé avoir agi sur ordre du chef de l’État qui lui aurait demandé de "mettre en scène quelque chose pour augmenter sa popularité".
Son ministre du Gouvernement (Intérieur), Eduardo Del Castillo, a fustigé "deux militaires putschistes qui voulaient détruire la démocratie".
Jeudi, il a présenté devant les médias 15 autres personnes arrêtées, menottées, entourées de policiers. "Cette opération était planifiée depuis le mois de mai", a-t-il affirmé, ajoutant que trois autres suspects étaient recherchés.
Selon M. del Castillo, le plan visant à renverser M. Arce "était dirigé" par M. Zuniga et M. Arnez".
Les Nations unies ont demandé jeudi "une enquête approfondie et impartiale sur les allégations de violence".
- "C'est un ordre" -
Si l'ordre institutionnel n'a que peu vacillé, restent des images fortes. Celle d'une porte du palais présidentiel forcée par un blindé et l'entrée dans la cohue du général Zuniga, la sécurisation de la place et des tirs de gaz lacrymogènes par les militaires faisant huit blessés, et les images de la conversation entre MM. Arce et Zuniga, diffusées par la présidence.
"Je suis ton capitaine (...) ramène toute la police militaire dans leurs casernes (...) retire toutes ces forces maintenant. C'est un ordre général, vous n'allez pas m'écouter ?", réprimande alors le président Arce.
Le général le regarde et lui répond par un "non" catégorique.
Après le retrait des militaires de la place Murillo, le président Arce est apparu au balcon du palais présidentiel saluer la foule venue se masser. "Personne ne peut nous enlever la démocratie que nous avons gagnée", a-t-il scandé.
Les condamnations de l'action du général Zuniga ont afflué de tous les pays sud-américains mais aussi d'Espagne, de France et des États-Unis.
La Russie, qui avait reçu M. Arce, rare visite d'un chef d’État étranger dans le pays depuis le déclenchement du conflit avec l'Ukraine en février 2022, a souligné jeudi sa "solidarité avec la Bolivie, un pays frère et un partenaire fiable et stratégique", selon le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
Le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a lui mis en garde contre toute "ingérence" étrangère dans les affaires intérieures de la Bolivie.
- Crise économique et querelles politiques -
Mais pour Gustavo Flores-Macias, de l'université Cornell aux États-Unis, "le fait que le coup d’État ait échoué ne signifie pas que la situation en Bolivie soit résolue, au contraire : c'était un symptôme d'un mécontentement très important qui existe dans de larges secteurs".
Car cet épisode survient dans un contexte de fortes turbulences économiques causée par la chute des revenus due à la faible production de gaz, sa principale source de devises jusqu'en 2023, d'une flambée des prix et d'une rareté de dollars provoquant la colère des commerçants en tous genres, alors qu'une pénurie de carburant étire les files d’attente devant les stations-service.
Et surtout en toile de fond se trouve le conflit entre M. Arce et son mentor politique, l'ancien président Evo Morales (2006-2019), tous deux désireux de se présenter au nom du parti au pouvoir, le Mouvement vers le socialisme (MAS), à la présidentielle de 2025.
Le général Zuniga avait exprimé sa ferme opposition à un éventuel retour au pouvoir de M. Morales, qui bénéficie d'un fort soutien dans tout le pays mais qui selon une décision de la Cour constitutionnelle ne peut pas concourir.
J.Hasler--NZN