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Jordan Bardella, 28 ans, toujours plus proche de Matignon depuis le succès du Rassemblement national au premier tour des législatives, s'est imposé comme enfant chéri et incarnation du lepénisme sans même en porter le nom.
Depuis l'annonce de la dissolution, il s'est essayé aux costumes trois pièces dont l'austérité doit souligner sérieux et rigueur.
Il s'est aussi parfois obligé à éconduire celles et ceux qui brandissent leur téléphone à chacune de ses apparitions: presque un crève-cœur pour celui qui a fait de cette stratégie du selfie une marque de fabrique depuis des mois pour asseoir sa popularité.
A quelques jours d'une possible accession à Matignon, il s'agit de rééquilibrer cette image de popstar aux chemises et vestes toujours plus près du corps, entourée de groupies à chaque sortie de gala, et de présenter le visage d'un putatif Premier ministre de la France.
Après cinquante ans de lepénisme, c'est donc un ancien colleur d'affiches même pas trentenaire qui doit installer l'extrême droite au pouvoir.
"Marine Le Pen le considère comme un fils spirituel", croit savoir un député proche des deux. Presque un avantage dans cette famille où les liens du sang n'ont jamais empêché trahisons et rancœurs.
Bardella, l'héritier du clan ? Le jeune homme aime à jouer l'ingénu "né en 1995" pour mieux renvoyer le sulfureux passé du Front national et les outrances de Jean-Marie Le Pen à une histoire révolue.
Une grosse ficelle qui se casse parfois, notamment lorsqu'il explique en novembre que le fondateur du FN n'était "pas antisémite", malgré les condamnations judiciaires. Face au scandale, il est contraint d'opérer un rétropédalage.
- Des identitaires aux souverainistes -
Celui qui se présente aujourd'hui comme le chef de file du camp de "la raison" et de la "modération" face "aux extrémismes" a pourtant lié son adolescence et sa jeunesse à un lepénisme pur voire radical.
A 18 ans, il fait la queue pour obtenir une photo aux côtés du "diable de la République", Jean-Marie Le Pen. Plus tard, c'est sous l'œil bienveillant de Frédéric Chatillon, figure du Groupe union défense (GUD) dans les années 90, que Jordan Bardella entame son apprentissage politique, tout en nouant une relation intime avec sa fille.
L'étudiant Bardella, qui s'est inscrit en fac de géographie après son bac éco mention très bien, fréquente les mêmes bars que les "identitaires" de sa génération, rive gauche à Paris. Et c'est auprès de Philippe Vardon, un ancien responsable du groupuscule d'ultradroite Bloc identitaire, qu'il fait ses classes au Rassemblement national.
Le militant de Saint-Denis qui a pris sa carte dès 2012 s'est vite fait repérer par le parti à la flamme : il incarne le lepénisme new look cher à la nouvelle présidente du mouvement.
Descendant d'immigrés italiens, le jeune homme comprend aussi l'avantage qu'il peut tirer de son parcours "au mérite" au milieu des barres de cette banlieue nord déshéritée de la capitale, fils d'une agente d'école maternelle divorcée. Sans insister sur son père, un prospère patron de PME qui lui offre une voiture et lui loue un appartement.
A 20 ans, Jordan Bardella est déjà conseiller régional RN d'Île-de-France, après avoir rapidement délaissé les amphis. Quelques mois auparavant, il a été l'assistant parlementaire de Jean-François Jalkh, rouage aussi extrême droitier qu'essentiel de la machine frontiste.
Mais c'est sans difficulté, si ce n'est avec zèle, qu'il s'est ensuite mis dans les pas du tout-puissant numéro deux du parti, Florian Philippot, pourfendeur des identitaires et chantre du souverainisme aux accents sociaux.
- Boîte noire -
Au Rassemblement national, sa plasticité est appréciée.
Une première consécration intervient en 2019, lorsque Marine Le Pen lui offre la tête de liste aux élections européennes. En dépassant le score de la macronie, Jordan Bardella lave l'affront du débat raté de sa patronne face à Emmanuel Macron deux ans plus tôt.
Il se trouve alors un nouveau mentor, Philippe Olivier, beau-frère et principal conseiller de Marine Le Pen, tout en entamant une relation avec sa fille, Nolwenn Olivier, aujourd'hui terminée - le jeune homme a depuis adopté une grande discrétion sur sa vie privée.
Porte-parole de la candidate Le Pen en 2022, Jordan Bardella impressionne par son aisance médiatique et son agilité dans les débats. "Il apprend vite", souffle-t-on au RN. Ses détracteurs décrivent un "Frankenstein" qui absorbe, digère puis régurgite les éléments de langage, et dont le talent oratoire dissimulerait, au mieux, un vide doctrinal.
Voire des "positions droitardes", tel que l'exprime le maire RN d'Hénin-Beaumont, Steeve Briois, lorsque l'eurodéputé prend la tête du Rassemblement national en 2023, mettant en garde contre une "potentielle re-radicalisation" du parti. N'était-ce pas d'ailleurs le même Bardella qui avait estimé que "Didier Raoult est à la médecine" ce que le RN est "à la politique"?
Marine Le Pen coupe court à toute fronde: le jeune homme doit élargir sa base électorale bloquée sous un plafond de verre. Au ni-droite-ni-gauche lepéniste, Jordan Bardella fait ainsi entendre sa nuance davantage libérale et pro-entreprises. "Complémentarité", jurent les deux.
"Entre eux, c'est une boîte noire, on ne sait pas ce qu'il y a", note un député RN. De son côté, le jeune homme appuie autant sa déférence que sa singularité, cherchant à déjouer le funeste sort que le parti à la flamme a toujours réservé à ses numéros deux.
Mais l'enfant prodige du lepénisme est aussi en un certain sens celui du macronisme.
Emmanuel Macron avait en effet ouvert la voie en cassant les codes de la politique et en installant la jeunesse aux responsabilités.
Jordan Bardella n'hésite d'ailleurs pas à se placer en miroir de Gabriel Attal, dont il a fait son meilleur ennemi.
Le mois dernier, lors d'un débat face à la macroniste Valérie Hayer, il n'a pas hésité à reprendre des formules que le candidat Macron avait lancées à sa rivale Le Pen lors de leurs débats présidentiels.
La dissolution a néanmoins plongé le disrupteur Jordan Bardella dans un abyme de questionnements: s'il devait être nommé à Matignon, la cohabitation pourrait obérer les chances de victoire de Marine Le Pen en 2027.
Son expérience gouvernementale acquise nourrirait en outre plus que jamais ses propres prétentions élyséennes.
Est-ce ce vertige qui l'a conduit la semaine dernière à affirmer qu'il refuserait le poste en cas de simple majorité relative? A moins qu'il ne s'agisse de parier qu'une Assemblée nationale ingérable conduise à la démission d'Emmanuel Macron. Afin que tout se passe à nouveau (presque) comme prévu.
O.Hofer--NZN