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Du haut de sa colline, Ghassan Olayan voit très bien les "ennuis" arriver: Israël vient de donner son feu vert à l'implantation d'une colonie sur les terres avoisinant son village palestinien de Battir, connu pour ses terrasses agricoles classées au patrimoine de l'Unesco.
Le natif du village, promoteur intarissable de ce site antique au sud de Jérusalem, a vu dès décembre des colons israéliens monter un avant-poste sur la colline qui fait face au village, elle aussi comprise dans ce site classé de Cisjordanie occupée.
"Ils veulent couper Battir de Bethléem", seulement cinq kilomètres plus à l'est, se désole M. Olayan, 61 ans, tout en montrant les terrasses soutenues par des murets de pierre sèche qui échelonnent des collines en escalier verdoyantes, ayant offert à la vallée agricole d'être classée au patrimoine mondial de l'humanité en 2014.
En cet après-midi de juillet, quelques jours après la légalisation de cinq avant-postes de colonies annoncée le 28 juin par le ministre des Finances israélien Bezalel Smotrich (colon d'extrême droite partisan de l'annexion de la Cisjordanie occupée), des enfants jouent dans une fontaine antique qui régule l'irrigation vers les parcelles de tomates, d'aubergines ou encore d'oliviers.
Sur une colline toute proche, des colons, marteaux et perceuses en main, ont déjà construit des habitations en préfabriqué et une bergerie.
Si toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie sont jugées illégales au regard du droit international par l'ONU, les avant-postes sont aussi installés en violation de la loi israélienne car établis sans autorisation des autorités.
Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967. Environ 490.000 Israéliens y vivent dans ces colonies, au milieu de trois millions de Palestiniens.
- "Empêcher un Etat palestinien" -
Ce n'est pas la première fois que M. Olayan voit des colons tenter de s'implanter sur les terres du village. Jusqu'ici, Battir a toujours pu s'en remettre à la justice israélienne.
Mais cette fois, craint-il, la colonie de Heletz, fraîchement avalisée par Israël, représente une menace sérieuse, au moment où la colonisation s'accélère à bas bruit pendant que les regards sont tournés vers Gaza.
"Une procédure judiciaire est en cours", pour mettre un terme à l'avant-poste déjà présent, explique M. Olayan. "Mais ils disent qu'il y a des dossiers plus urgents avec la guerre. Sauf qu'après l'urgence, on aura aussi à se battre contre les (futurs) colons ici. Battir est un village paisible, la colonie ne fera qu'apporter des ennuis", s'inquiète-t-il.
Son cousin Olayan Olayan, né en 1941, soit sept ans avant la création de l'Etat d'Israël, se souvient encore de la première tentative de coloniser Battir.
"J'ai labouré la terre et l'ai plantée, jusqu'à ce que les arbres donnent des fruits", raconte le Palestinien de 84 ans, keffieh autour de la tête. De sa canne, il pointe les collines alentours. "Et soudain, les colons sont arrivés et ont voulu s'approprier la terre."
Si une colonie venait à s'installer sur ce site, cela "isolerait Battir et à bien des égards créerait de la tension entre les voisins", juge Yonatan Mizrachi, de l'ONG israélienne anti-colonisation Peace Now.
La légalisation de cinq colonies "montre que le plan (du gouvernement israélien) est d'empêcher un Etat palestinien" de coexister avec Israël et de compromettre la solution à deux Etats prônée par l'essentiel de la communauté internationale, estime-t-il.
Une partie du gouvernement de Benjamin Netanyahu ne s'en cache pas, d'ailleurs.
- "Ma terre, mon âme" -
"Nous continuerons à développer les colonies pour assurer la sécurité d'Israël et empêcher la création d'un Etat palestinien", a par exemple écrit sur X (ex-Twitter) après l'annonce du 27 juin le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, par ailleurs colon et chef du parti d'extrême droite Force juive.
Pour l'heure, l'Unesco confirme avoir des "signalements de constructions illégales" dans le périmètre du site classé qui ont été "portés à l'attention des Etats membres". Ces derniers "ont réitéré leur préoccupation à ce sujet", souligne l'agence onusienne, qui s'en était déjà alarmé en 2023.
Interrogée sur les mesures qu'elle pourrait prendre pour éviter une poussée de fièvre en cas d'installation d'une colonie, l'armée israélienne n'a pas répondu à l'AFP.
La famille Olayan, elle, craint que la situation ne se tende sérieusement, dans cette vallée et ce village à la tradition collective, à l'instar de son de son système d'irrigation alimenté par des sources souterraines et qui répartit l'eau équitablement entre chaque parcelle.
Quoi qu'il arrive, Olayan Olayan n'est pas prêt à quitter son village. "Ma terre, c'est mon sang, mon âme, tout", résume-t-il. "Je ne peux pas arrêter de me rendre sur ma terre, à moins qu'un colon ne me tue."
R.Bernasconi--NZN