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A chaque sortie publique du favori de la présidentielle du 29 mai en Colombie, la scène est saisissante: le candidat de gauche Gustavo Petro est cerné d'une horde de gardes du corps nerveux qui brandissent en quasi-permanence trois imposants boucliers pare-balles.
Le spectre d'un assassinat hante la campagne où la gauche a une chance très sérieuse d'arriver au pouvoir pour la première fois dans l'histoire de ce pays, où les balles ont souvent changé tragiquement le cours de la vie politique.
Au XXe siècle, cinq candidats à la présidence ont été assassinés par des opposants, des narcotrafiquants ou des paramilitaires complices d'agents de l'Etat: trois de gauche ou d'extrême gauche, et deux libéraux.
Si la violence armée a un temps reflué après la signature de l'accord de paix de 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes), le pays reste confronté à la menace du narcotrafic et à une myriade de groupes armés qui sévissent dans les provinces plus ou moins isolées.
- "Spectre de la mort" -
"Le spectre de la mort nous accompagne", déclarait M. Petro en février. "Elle ne cesse de m'apparaître comme un flash, lorsque je me mêle à la foule, lorsque je suis sur une estrade, au milieu d'une place bondée".
Début mai, le sénateur de 62 ans a suspendu un déplacement dans le centre-ouest du pays, son équipe ayant reçu des "informations de première main" sur un possible complot d'assassinat par des paramilitaires locaux. Deux jours plus tard, il refaisait son apparition en meeting à Cucuta (nord) derrière ses désormais incontournables boucliers blindés.
Son escorte de 60 gardes du corps a depuis été renforcée, sans compter les forces de sécurité déployées lors de ses - nombreux - déplacements en province qui ont contribué jusqu'à présent au succès de sa campagne.
Le risque d'assassinat "est très réel", estime Felipe Botero, professeur de sciences politiques à l'Université des Andes. "Non seulement contre le candidat Petro, mais aussi s'il gagne la présidence", prévient l'analyste dans un entretien à l'AFP.
Francia Marquez, Afro-colombienne écologiste et féministe, colistière de M. Petro à la vice-présidence, a elle aussi fait état de menaces.
Et le candidat de la droite conservatrice Federico Gutierrez, rival de M. Petro, a exprimé son inquiétude à la fois pour la sécurité de son adversaire comme pour la sienne après des menaces, selon lui, de la guérilla guévariste de l'ELN.
"Faites attention à la sécurité de Federico Gutierrez", a tweeté l'ex-président Alvaro Uribe (2002-2010) qui a lui-même échappé à un attentat à l'explosif en 2002.
- Le trauma de 1948 -
La date qui a bouleversé l'histoire de la Colombie moderne est dans toutes les têtes: le 9 avril 1948, lorsque le candidat libéral à la présidence Jorge Eliecer Gaitan était assassiné de trois balles sur une avenue de Bogota. Sa mort tragique a embrasé la ville et déclenché un sanglant conflit interne qui, un demi-siècle plus tard, n'est toujours pas éteint.
Quatre décennies après, le communiste Jaime Pardo Leal (1987), le libéral Luis Carlos Galan (1989) et les opposants de gauche Bernardo Jaramillo et Carlos Pizarro (1990), tous aspirants à la présidence, étaient également assassinés.
Alexander Gamba, professeur à l'université Saint Thomas, voit au moins trois raisons à une "possible" attaque armée contre Petro.
Il existe selon lui en Colombie des "professionnels de la violence", comme la vingtaine de mercenaires qui ont participé à l'assassinat du président haïtien en 2021. L'éventuelle victoire de M. Petro est présentée par ses opposants comme "une grande catastrophe nationale" contribuant à une "atmosphère" qui ferait presque passer un assassinat pour "une action patriotique".
Enfin, souligne le sociologue, le pays "n'a pas connu d'alternance politique" qui laisse la place à la gauche, toujours associée par certains secteurs conservateurs à la rébellion armée.
"Dans un pays comme la Colombie, marquée par la violence politique et qui a le record des homicides de leaders sociaux, nous prenons évidemment toute menace au sérieux", commente un conseiller de M. Petro, Alfonso Prada, qui refuse cependant "d'en faire un sujet de campagne".
"Si nous aspirons à diriger l'Etat, nous devons être capables de rassurer et de gérer notre propre sécurité", souligne-t-il.
Pour le gouvernement sortant d'Ivan Duque, M. Petro est "l'une des personnes les plus protégées" du pays et les soupçons d'attentat n'ont pas été corroborés par ses services, ce qui fait enrager le professeur Botero: "Refuser toute crédibilité à une menace de mort dans un pays où des centaines de personnes sont assassinées chaque année pour leurs convictions politiques semble pour le moins manquer de perspicacité".
N.Fischer--NZN