Zürcher Nachrichten - Les victimes de l'ère Jammeh entre soulagement et scepticisme après la condamnation d'ex-espions gambiens

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Les victimes de l'ère Jammeh entre soulagement et scepticisme après la condamnation d'ex-espions gambiens
Les victimes de l'ère Jammeh entre soulagement et scepticisme après la condamnation d'ex-espions gambiens / Photo: ROMAIN CHANSON - AFP/Archives

Les victimes de l'ère Jammeh entre soulagement et scepticisme après la condamnation d'ex-espions gambiens

Quand la justice gambienne a reconnu coupables du meurtre de son père cinq anciens responsables des services de renseignement, Muhammed Sandeng a ressenti quelque chose d'inédit, entre "plénitude et soulagement".

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Ebrima Solo Sandeng, figure du Parti démocratique uni (UDP) sous la dictature de l'ex-président Yahya Jammeh, était mort en détention en avril 2016 dans les locaux de la National Intelligence Agency (NIA).

Les tortures et le meurtre de ce militant, deux jours après son arrestation pendant une manifestation, avaient galvanisé l'opposition, jusque là faible et divisée, et précipité la chute du dictateur qui dirigeait sans partage la Gambie depuis 1994.

Mercredi, au terme de cinq années de procès, la Haute cour de justice de Banjul a prononcé la peine de mort contre l'ancien chef de la NIA, Yankuba Badjie, l'ancien chef des opérations Sheikh Omar Jeng et trois autres ex-employés de ce service de renseignement, Babacarr Sallah, Lamin Darboe et Tamba Mansary.

Leurs sentences seront toutefois converties en peines de prison à perpétuité car la Gambie a adopté un moratoire sur les exécutions.

"Nous étions présents tout au long des audiences préliminaires, et écouter tout ça n'a pas été facile - c'était douloureux, ça nous a fait revivre la plupart des traumatismes", confie à l'AFP le jeune Sandeng, aujourd'hui âgé de 25 ans. "La persévérance a porté ses fruits".

- Le "début de la fin" -

Des témoins ont raconté comment des hommes se sont relayés pour le frapper en garde à vue "jusqu'à ce que tout son corps saigne et que du sang sorte de sa tête".

Selon Abdoulie Fatty, un avocat gambien, cette affaire a sonné "le début de la fin" pour le dictateur, accusé d'avoir orchestré une litanie de crimes durant ses 22 ans au pouvoir, entre disparitions forcées, assassinats, viols ou harcèlement de la presse.

Le meurtre d'Ebrima Solo Sandeng a notamment a encouragé l'opposition politique à s'unir derrière Adama Barrow, qui a battu Yahya Jammeh lors des élections de décembre 2016.

Quant aux cinq responsables condamnés cette semaine, ils "symbolisaient la dictature de Jammeh - la NIA symbolisait la dictature de Jammeh", estime Me Fatty.

L'ancien patron de l'agence, Yankuba Badjie, était "probablement la deuxième personne la plus puissante du pays", dit-il.

Ces condamnations représentent un pas important vers le rétablissement de la vérité, d'après plusieurs autres victimes de l'ère Jammeh qui attendent avec impatience que justice soit rendue, pour tous.

"Pour moi, en tant que victime, cela signifie beaucoup", a déclaré Isatou Jammeh, dont le propre père - le frère de Yahya Jammeh - a été assassiné pour avoir osé défier l'ex-président.

"Le fait de les voir condamnés signifie qu'il existe un Etat de droit et sert d'exemple à tous ceux qui ont commis des crimes horribles", a-t-elle ajouté.

Mais l'affaire Solo Sandeng fait figure d'exception: c'est jusque-là l'un des deux seuls procès qui s'est tenu en lien avec les atrocités commises sous le régime Jammeh.

Après son ouverture, le ministère de la Justice a choisi d'attendre les conclusions de la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) avant de lancer d'autres enquêtes.

"La TRRC n'est pas un organe judiciaire et il incombe à l'Etat de mener des enquêtes rapides et impartiales de son côté", affirme Nana-Jo N'dow, une militante dont le père a disparu en 2013.

- "Nous l'aurons" -

En mai, après la publication du rapport final de la TRRC, le gouvernement a promis de poursuivre l'ex-président Yahya Jammeh, qui vit en exil en Guinée équatoriale, et plus de 200 autres personnes accusées de violations des droits humains.

Pour les groupes de victimes, qui se montrent sceptiques, ces promesses demeurent floues. "Pendant ce temps, les alliés de Jammeh occupent des postes de pouvoir en Gambie", souligne Nana-Jo N'dow.

Le président Barrow, réélu en décembre, a formé l'an dernier une alliance politique avec l'ancien parti de Jammeh et a depuis nommé deux de ses fidèles comme président et de vice-président du Parlement.

Fin mai, M. Barrow s'est rendu en Guinée équatoriale, mais il n'a guère été question de Jammeh lors de ses entretiens avec le président Teodoro Obiang Nguema, selon un porte-parole du gouvernement.

L'Etat dit avoir engagé des avocats étrangers et gambiens pour travailler sur le procès de l'ex-président, et à la mi-juin, le ministère de la Justice a annoncé que tous les fonctionnaires cités dans le rapport de la TRRC seraient suspendus.

Fin juin, le procureur général a toutefois indiqué à une commission parlementaire que le gouvernement ne disposait pas actuellement des ressources financières nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations de la commission.

"Il y a encore beaucoup à faire en matière de réformes de la sécurité et de réformes institutionnelles", soupire Muhammed Sandeng. Mais il en est sûr, Jammeh finira par payer: "il est évident que la justice le rattrapera et tôt ou tard, nous l'aurons".

T.L.Marti--NZN