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Le 8 février 1962, une manifestation pour la paix en Algérie se soldait par neuf morts au métro Charonne à Paris et devenait, peu avant la fin de la guerre d'Algérie, un symbole sanglant de la répression d'Etat.
Les jours précédents, une série d'attentats de l'OAS (Organisation armée secrète), opposée à l'indépendance de la colonie française, ont fait plusieurs blessés graves, dont l'un, visant André Malraux, a horriblement défiguré une fillette de 4 ans.
Les Français se sont pourtant déjà majoritairement prononcés pour l'autodétermination de l'Algérie et les accords d'Evian proclameront bientôt, le 18 mars, un cessez-le-feu ouvrant la voie à l'indépendance.
Le bref rassemblement pacifique prévu le 8 février Place de la Bastille, à l'appel du Parti communiste, du PSU, de la CGT et d'autres syndicats comme la CFTC, la FEN et l'Unef ainsi que des organisations de gauche, est interdit par le préfet Maurice Papon, sur fond d'état d'urgence en vigueur depuis avril 1961.
Mais les organisateurs appellent "les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne à proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d'imposer la paix en Algérie".
Cing cortèges de manifestants partis de différentes stations du métro doivent rejoindre la Bastille pour écouter leur intervention, mais la police a ordre de disperser coûte que coûte les rassemblements.
Nombre y parviennent toutefois, malgré des heurts déjà violents avec les forces de l'ordre, et un texte est lu. Mais c'est au retour que le drame éclatera.
- "Pourquoi pas moi ?" -
Boulevard Voltaire, des heurts entre les CRS qui chargent, "matraques en avant", et "les manifestants qui s'étaient coiffés de cageots à légumes pour se protéger la tête" et "jettent des pierres et des pavés", ont fait plusieurs blessés, écrit à l'époque l'AFP.
Des manifestants cherchant à fuir une charge policière s'engouffrent dans le métro Charonne.
Une bousculade meurtrière s'ensuit, des policiers poursuivent les manifestants pour les frapper, d'autres jettent vers ceux qui tentent de ressortir les lourdes grilles qui entourent les arbres.
Des personnes bloqués par les portillons d'accès aux quais sont étouffées sous la pression, d'autres meurent le crâne fracassé sous les coups. On relèvera huit morts, dont trois femmes et un apprenti de 15 ans. Un homme mourra huit semaines plus tard de ses blessures. Tous sont syndiqués à la CGT et membres du PC, à l'exception d'une victime.
"La précipitation dans le métro, les portillons fermés, puis le grand trou noir": Jacqueline Guichard, alors jeune employée des chèques postaux, adhérente à la CGT et au PC, a évoqué en 2002 cette terrible fin de journée.
"Nous sommes parties à 7 ou 8 copines", a-t-elle raconté. Parmi elles, Anne-Claude Godeau, 24 ans, qui n'en reviendra pas.
"On défilait depuis un moment, la nuit tombait, on criait +Paix en Algérie+. C'était revendicatif, mais sans plus. A Charonne, la tête de la manif nous a donné l'ordre de nous disperser. Et puis, ça a commencé", poursuit Mme Guichard. "Subitement, la police avec casques et matraques a chargé" et la foule s'est engouffrée dans le métro: "Pourquoi on est entré dans ce métro ? Je ne saurai jamais. Pourquoi Anne-Claude a pris des coups ? Pourquoi pas moi ? Je ne le saurai pas non plus."
- "Le comble de l'absurde" -
A l'avant, Jacqueline perd de vue ses camarades et se retrouve coincée contre les portillons. En haut, de premières victimes tombent. Elle parvient, hagarde, à rentrer chez elle vers 21h00 : "J'ai compris le désastre en écoutant la radio...".
Pour l'historien Pierre Vidal-Naquet, disparu en 2006, "c'est le comble de l'absurde. On a du mal à comprendre cette violence de la police alors que le gouvernement est en pleine négociation avec les représentants algériens pour un accord de paix signé un mois plus tard. Et pourtant ce fut une répression d'Etat", déclarait-il 40 ans après la tragédie.
"Sans doute de Gaulle voulait-il montrer que son autorité était intacte".
Il n'avait pas non plus "intérêt à ce que le Parti communiste fasse démonstration de sa force", analysera l'historien Olivier Le Cour Grandmaison.
Ce "massacre d'Etat", selon l'historien Alain Dewerpe, sera suivi le 13 février du rassemblement de 100.000 à 200.000 personnes pour les obsèques des victimes.
Il occultera longtemps dans la mémoire collective un autre drame sanglant, celui de la répression policière de la manifestation du 17 octobre 1961 au cours de laquelle plusieurs dizaines d'Algériens protestant à l'appel de la fédération de France du FLN contre le couvre-feu décrété par le même Maurice Papon trouvèrent la mort à Paris.
Une occultation que l'historien Gilles Manceron explique notamment par le silence imposé par les autorités françaises autour du massacre de 1961 et une mobilisation moindre de la gauche française, qui n'en était pas l'organisatrice.
A.Wyss--NZN