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Le véhicule blindé chargé de les évacuer s'arrête au claquement des tirs d'artillerie. Il dépose un groupe de soldats de reconnaissance ukrainiens, dont la mission a mal tourné à Bakhmout, dans l'est de l'Ukraine.
La plupart des blessés peuvent encore marcher. Mais certains perdent l'équilibre et titubent à l'entrée d'un bâtiment qui porte des traces de bombardements et fait office d'hôpital de campagne, tout proche du front où les combats font rage.
Les uniformes sont usés, déchirés là où il a fallu soigner des blessures ou pour permettre aux hommes couverts de saletés de mieux respirer.
Quelques-uns s'appuient sur leur fusil pour rester debout, d'autres se laissent glisser au sol, le dos contre un mur, épuisés.
Si eux sont blessés mais vivants, aucun ne veut dire combien de camarades ils ont perdu sur cette partie du front où les affrontements sont les plus sanglants depuis des mois.
Leur unité sondait les défenses russes lorsqu'elle a été détectée et ciblée. Les chars ennemis ont ouvert le feu à très courte distance.
Dans l'attente d'être examinés, certains échangent en entre eux et revivent l'attaque et le chaos subis, en agitant les bras et proférant des jurons.
L'équipe de médecins, dont certains sont encore en pantoufles, retire silencieusement les éclats d'obus reçus par les blessés.
- "Vengeance" -
"J'ai des raisons de me venger des Russes", lâche le chirurgien Kirilo Orlov, après avoir soigné l'un des soldats. "Je veux dire une vraie vengeance. J'ai perdu trop de connaissances et d'amis", ajoute ce quadragénaire.
L'hôpital de campagne est situé dans une ville fantôme, vidée de ses habitants. Les rues sont couvertes de débris et l'air secoué d'explosions incessantes.
Les médecins se relaient pour aller fumer à côté d'une porte ouverte sur l'extérieur, face aux positions russes. Le danger guette, ils ne mettent quasiment jamais un pied dehors.
Soudain, certains enfilent des gilets pare-balles et se précipitent pour secourir des soldats arrivés dans un autre véhicule blindé.
Des fusils sont appuyés sur des coins de murs, des talkies-walkies crachent les bruits de la guerre.
Le soldat Serguiï Podolyan est assis dans un couloir, seul. Ses paumes sont moites.
"C'est quelque chose de nouveau", explique le jeune homme de 27 ans, le visage peu marqué pour son premier jour sur le front.
"Nous avons suivi un entraînement dans un stand de tir et nous nous sommes un peu habitués aux explosions", murmure-t-il sous sa casquette de base-ball. "Mais pas comme ça... !", souffle-t-il.
- Retourner au combat -
Les médecins travaillent moins depuis que les forces ukrainiennes ont abandonné la défense de Bakhmout en mai, et tentent de la prendre en tenaille par le nord-ouest et le sud-ouest.
"Nous avons trois fois moins de cas (de blessures) qu'en février ou mars", dénombre le médecin Dmytro Ourakov, 42 ans. "Nous nous battons plus intelligemment maintenant", estime-t-il, avant de mettre son fusil en bandoulière et d'aller se reposer.
Mais les attaques ukrainiennes menées sur les flancs de Bakhmout se heurtent toujours aux défenses russes et aux champs de mines.
Les soldats blessés ne pensent à rien d'autre qu'à continuer de se battre.
"Ils veulent retourner là-bas", constate l'infirmière Galina Slobodyan, dans un sourire compatissant après avoir bandé le bras d'un soldat.
Ce dernier rejette fermement l'idée d'aller se faire soigner dans un véritable hôpital, loin du front. "Je ne peux pas leur dire non", dit la soignante.
Cette jeune femme de 23 ans travaillait comme coiffeuse en Pologne lorsque la Russie a envahi l'Ukraine il y a 17 mois. Elle est vite rentrée dans son pays, quand des millions d'autres le quittaient à la hâte.
- "Tuer un infirmier" -
"Vous restez à l'étranger, vous gagnez de l'argent, mais à quoi bon ?", s'interroge la jeune femme tatouée dans le cou. "Je voulais être utile".
Une fois la plupart des blessés soignés, les médecins s'accordent un peu de détente, les yeux rivés sur leur téléphone portable.
L'ancienne coiffeuse plaisante avec le jeune Serguiï Podolyan pour tenter d'atténuer le stress du soldat novice.
Le regard dans le vide, le Dr Orlov reste assis près de la table d'opération, dans un silence pesant.
Une nouvelle équipe médicale retournera bientôt vers le "point zéro" - l'épicentre même des combats - comme le nomment les Ukrainiens, pour secourir d'autres blessés.
Avec le risque d'être visé par les soldats russes.
"Ce n'est pas comme pendant la Seconde Guerre mondiale, quand vous aviez une croix rouge et qu'ils ne vous tiraient pas dessus", relève le Dr Orlov.
"Au contraire, ils tirent. Pour eux, il s'agit d'une cible principale: tuer un infirmier", lâche-t-il.
E.Schneyder--NZN