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Se priver de manger pour "affamer la tumeur" ou encore "mieux supporter la chimio"? Malgré le manque de preuves scientifiques, la mode du jeûne essaime aussi chez des patients atteints d'un cancer, qui prennent des risques "énormes", alertent les médecins.
Sur Youtube notamment, les vidéos de personnes - témoins "guéris" ou "thérapeutes" auto-proclamés - promettant grâce au jeûne "une guérison rapide du cancer", de manière "entièrement naturelle", sont vues des dizaines de milliers de fois.
Certains préconisent un jeûne total, notamment les jours précédant une chimiothérapie, des stages en pleine nature pour se "nourrir de lumière", quand d'autres vantent les mérites d'une alimentation exclusivement liquide (jeûne hydrique).
"C'est un des +traitements miracles+ promus par des naturopathes notamment", observe Donatien Le Vaillant, chef de la Miviludes, une section du ministère de l'Intérieur chargée de surveiller les dérives sectaires.
"Quand il mène à un abandon du traitement, donc à une perte de chance pour le patient, ce discours constitue une infraction pénale", rappelle-t-il. Le naturopathe Eric Gandon a ainsi été mis en examen il y a un an à Tours après plusieurs décès de participants à ses stages de jeûne hydrique, dont des personnes cancéreuses.
"La vulnérabilité des malades est très importante", relève le chef de Miviludes, "notamment à l'annonce du diagnostic de cancer". Certains seront particulièrement sensibles "aux discours complotistes, anti-médicaments, qui se sont banalisés sur les réseaux sociaux notamment".
- "On affame tout l'organisme" -
Il pointe aussi un manque de régulation flagrant: "Quand on tape +comment vaincre son cancer?+ sur internet, on tombe sur des contenus très sérieux mais aussi des choses totalement loufoques, sans aucune hiérarchie".
L'intérêt du jeûne contre le cancer part d'un constat en apparence logique: les cellules cancéreuses étant très "gourmandes", les priver d'alimentation aiderait à les éliminer.
"Les cellules tumorales consomment deux à trois fois plus de sucre que les cellules normales", explique le Pr Bernard Srour, épidémiologiste de l'Inrae coordonnant le réseau de recherche Nacre (nutrition et cancer), "le problème, c'est qu'en jeûnant, on n'affame pas seulement la tumeur, on affame tout l'organisme".
Méthode d'autant plus contre-productive, selon lui, que "les cellules cancéreuses vont aller puiser les ressources surtout dans la masse musculaire".
Et ces cellules ont "de très grandes capacités d'adaptation", souligne l'Inserm, qui rappelle sur son site internet que les études sur les bénéfices de cette pratique sont "trop incertaines".
Après avoir exploré des dizaines d'études, le réseau Nacre a conclu, dans un rapport en 2017, à une absence de preuve d'un effet du jeûne chez l'homme "en prévention ou pendant la maladie (qu'il s'agisse d'effet curatif ou d'une interaction avec des traitements anticancéreux)".
- Vigilance des proches -
Zéro bénéfice pour des risques "énormes", avertit le Pr Srour: "Si vous êtes en bonne santé, que vous voulez écouter votre corps, pourquoi pas? Mais pendant un cancer, non, ça peut être très, très dangereux".
Le jeûne peut augmenter le risque de toxicité du traitement et diminuer son efficacité, prévient-t-il. Surtout, il peut provoquer une fonte musculaire et une dénutrition, des facteurs néfastes pour le pronostic vital du patient, la dénutrition étant la cause directe du décès de 5 à 25% des patients atteints de cancer.
Au contraire, préconise-t-il, les oncologues doivent pousser les patients à manger "ce qui leur fait envie, car il faut être assez costaud pour supporter les effets secondaires des traitements, et c'est un défi de bien se nourrir quand la chimio par exemple altère le goût et provoque des aversions à pas mal d'aliments".
"Les patients atteints de cancer sont prêts à tout essayer", constate-t-il, "donc il faut à tout prix garder un accompagnement, une surveillance pour détecter une dénutrition et pouvoir rapidement la prendre en charge".
La Miviludes donne, elle, un conseil aux proches d'une personne atteinte de cancer: réagir si le malade se coupe de son entourage ou des médecins, manifeste la volonté d'arrêter son traitement, ou dépense des sommes d'argent importantes dans des thérapies dites "alternatives".
A.Ferraro--NZN