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Dans un cabinet médical aux fauteuils d'un violet vif, le docteur Mykola Papine accueille une patiente un peu intimidée. Une consultation comme une autre, si ce n'est qu'elle se déroule dans l'intimité relative d'un imposant camion blanc, garé sur la place centrale d'un village de l'est ukrainien.
En temps normal, ce gynécologue et obstétricien de 63 ans recevrait, de façon plus classique, dans le centre périnatal de Kramatorsk où il dirige un service. Mais celui-ci a été bombardé par l'armée russe après le début de son invasion en 2022 et une partie du bâtiment est encore en ruine.
Et la guerre a transformé des pans de sa région de Donetsk en désert médical. "Beaucoup de médecins sont partis", en quête de sécurité comme une partie de la population, raconte M. Papine à l'AFP.
Dans son centre, ils ne sont plus que deux spécialistes sur les 18 qui y exerçaient autrefois. Mykola Papine avait lui aussi quitté la région durant les premiers mois de l'invasion russe. Avant de revenir.
"La vie continue", explique ce médecin au regard doux. "Oui, c'est difficile, oui, il y a des bombardements, mais les gens ont besoin de soins médicaux".
Comme d'autres confrères, il parcourt désormais les routes du Donbass pour venir à la rencontre des patientes isolées, au volant de ces camions spécialement aménagés.
- "Pas de transport" -
Ce jour de juin, une dizaine de femmes les attendent de pied ferme dès leur arrivée à Novomykolaïvka.
Il les reçoit une par une, posant des questions sur leurs potentielles grossesses et avortements passés ou leurs antécédents médicaux.
Ce petit village n'est qu'à une quinzaine de kilomètres de la ville de Sloviansk. Mais, dans la file d'attente, toutes témoignent des longs délais et des difficultés logistiques que représentent la prise d'un rendez-vous médical dans un centre urbain.
"Il n'y a pas de transport", se désole Anna Odnovol, 39 ans, qui a de toute façon vu partir le gynécologue qui la suivait, tout comme le psychologue de son père.
Les bus, dont beaucoup dépendaient, sont désormais rares. Dans cette campagne défavorisée, posséder une voiture tient plutôt du luxe.
Avant cette clinique mobile, "on n'avait personne vers qui se tourner", estime Iryna Iefremenko, brune de 48 ans.
Or, "on a besoin de médecins, même dans un village oublié comme le nôtre", dit-elle.
- Accouchement sous les bombes -
L'équipe de Mykola Papine suit un itinéraire et un planning déterminés à l'avance et se déplace jusqu'à une dizaine de kilomètres de la ligne de front.
"Il y a le danger d'être bombardé quand on est en route, et aussi quand on prodigue des soins. Mais, malgré ça, on continue à travailler", note le gynécologue.
Il s'est habitué aux risques: durant les premières semaines de la guerre, "on accouchait les femmes alors que les bombes tombaient", se souvient-il.
Aujourd'hui, les naissances ne sont plus si nombreuses, la natalité ayant "nettement chuté", selon lui.
A cause du stress, certaines femmes ne parviennent pas à tomber enceinte, et beaucoup voient leur cycle menstruel perturbé, énumère le médecin.
La guerre a bien d'autres effets. Faute de consultations régulières, certaines pathologies cancéreuses ne sont par exemple détectées qu'"à des stades avancés", ajoute-t-il.
- Infrastructures détruites -
La clinique mobile, financée par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), la Suède et la Norvège, est dotée d'un échographe et de "tous les outils nécessaires", se félicite Mykola Papine.
Malgré cela, elle constitue une solution imparfaite car la médecine n'est pas une science solitaire, note le professionnel.
S'il recevait en clinique, il aurait une ribambelle d'autres spécialistes à portée de main. Ici, si le gynécologue a besoin d'un deuxième avis ou d'analyses plus poussées, il faut parcourir "50 à 70 kilomètres".
Rien que dans la région de Donetsk, 24 infrastructures médicales ont été détruites par des frappes et une soixantaine d'autres ont été gravement endommagées, selon des chiffres du Fonds des Nations Unies pour la population datant de 2023.
Pour Mykola Papine, ce cabinet itinérant est aussi une façon de garder le contact avec une population en souffrance.
Il distribue par exemple des brochures sur la violence conjugale et tente de repérer, sur les femmes, toute trace de coups.
"Notre tâche, en plus de la consultation, c'est aussi de soulager l'état psycho-émotionnel" des habitants, explique le médecin.
Dans la file d'attente, une des patientes ironise: "Si on se met à pleurer au lieu de tenir bon, il nous faudra aussi un psychologue itinérant".
N.Fischer--NZN