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"Mais il y aura qui après ?" Le sprinteur Christophe Lemaitre, qui essaie de se relancer après plusieurs années difficiles, s'inquiète auprès de l'AFP pour l'athlétisme français à l'approche des Jeux olympiques 2024 de Paris, déplorant le manque d'"humain" dans l'encadrement du haut niveau.
Non sélectionné aux Jeux de Tokyo l'été dernier, le double médaillé olympique (bronze du relais 4x100 m en 2012 et du 200 m en 2016) de 31 ans, jette un regard cru sur l'élite tricolore et la Fédération française d'athlétisme (FFA), depuis Méribel et les finales de la Coupe du monde de ski alpin où son département (Savoie) l'a convié pour un projet lié à Paris-2024.
Q: Avec quelle envie vous projetez-vous vers la saison estivale ?
R: "Je veux retrouver l'équipe de France, aux Mondiaux à Eugene et à l'Euro de Munich. J'ai encore des possibilités. Le maillot bleu, c'est l'objectif de chaque saison, il me fait toujours rêver."
Q: Quel regard portez-vous sur l'athlétisme français ?
R: "J'ai été attristé de voir le résultat aux Jeux olympiques de Tokyo (une médaille, l'argent pour Kevin Mayer) par rapport à ce qu'on aurait pu, et même dû récolter. A Rio en 2016 on avait fait six médailles, une grosse prestation. Une fois que ma génération, avec Mélina Robert-Michon, Kevin Mayer, Renaud Lavillenie, aura disparu, je me dis... +Mais il y aura qui après ?+ Ca me fait un peu peur. Si la génération suivante ne perce pas, qu'on ne lui donne pas sa chance, ça va faire mal et c'est dommage."
Q: Que manque-t-il actuellement ?
R: "Ca manque de relationnel, d'humain. Je comprends qu'il faille privilégier le côté sportif, mais il faudrait une approche plus globale, avec plus de contact, plus de terrain de la part de la fédération pour connaître les problématiques des athlètes et rectifier le tir. J'ai l'impression qu'à la fédé il n'y a pas une atmosphère sereine et idéale pour le travail de la haute performance. Après ces Jeux ratés, je n'ai pas l'impression qu'il y ait une remise en question, mais plutôt qu'on reproche les mauvais résultats seulement aux athlètes, alors qu'il y a beaucoup à dire du côté fédéral, qui a sa part dans les mauvaises performances. On prépare ces Jeux de Paris en athlétisme mais trop tard. J'espère me tromper, mais je ne vois pas comment ça pourrait changer d'ici 2024. Si les problèmes persistent jusque là, alors il faudra un grand remaniement au sein de la fédération et espérer créer une dynamique avec les jeunes, pour reconstruire une équipe de France conquérante."
Q: Avez-vous été sollicité pour apporter votre avis, votre expérience ?
R: "Pas du tout. Je ne sais pas s'il y a eu des réunions ou des discussions (avec des athlètes). Pour le relais, on m'a dit que je n'étais plus dans le groupe. Je suis totalement écarté donc je n'ai plus trop d'information."
Q: Deux athlètes du relais 4x100 m ont récemment été sanctionnés pour leur comportement à Tokyo, après avoir notamment exprimé leur défiance face à l'encadrement...
R: "J'ai eu les athlètes (Mouhamadou Fall et Amaury Golitin) au téléphone, ils m'ont expliqué leur version. Ca ne m'a étonné qu'à moitié. De base je n'avais pas une bonne relation avec le coach (Dimitri Demonière, remplacé en 2022 à la tête du relais par Richard Cursaz et Fabien Lambolez), on n'était pas d'accord sur certaines décisions, les athlètes n'étaient pas consultés. Je trouvais aussi les entraînements pas assez qualitatifs. On était pas prêts pour faire du 4x100 m de très haut niveau. On avait fait ensemble une lettre ouverte pour dire notre mal être. On avait l'impression d'être ignorés."
Q: Parmi la relève, que pensez-vous du sprinteur Jeff Erius (17 ans), qui a égalé votre record de France juniors du 60 m cet hiver ?
R: "Je l'ai croisé cet hiver en compétition. J'espère d'abord qu'il continue à progresser, qu'il confirme en seniors, et surtout qu'on lui foute la paix. Il faut que la fédération l'aide, mais qu'on le laisse en dehors des guerres d'égos et qu'on ne veuille pas à tout pris l'emmener à l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance). Je connais énormément de gens de ma génération qui ont été déracinés, à l'Insep, et qui n'ont pas percé. L'Insep est une très belle structure mais sans feeling avec le coach, ou en cas de mal être, l'athlète ne progressera pas. Il faut que la fédération développe l'athlé de haut niveau partout en France, en donnant les moyens aux clubs et aux structures de se développer. Que les jeunes soient détectés et accompagnés du mieux possible sans les déraciner, protégés des entraîneurs nationaux qui voudraient se les approprier pour leur ego et leur image."
Propos recueillis par Robin GREMMEL
D.Graf--NZN