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Privée de compétition en raison d'un taux de testostérone particulièrement élevé, l'athlète sud-africaine Caster Semenya, 33 ans, a de nouveau plaidé son cas mercredi devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
"Elle a perdu des années de carrière en attendant une décision définitive", a déclaré son avocate, Schona Jolly, devant les 17 juges de la Grande chambre, formation suprême de la CEDH.
L'avocate a souligné que la décision de la Cour, qui sera définitive, "aura un impact profond sur sa vie personnelle et professionnelle, ainsi que sur la vie et la dignité de nombreuses autres sportives internationales".
Depuis 2018, la Fédération internationale d'athlétisme (World Athletics) impose aux athlètes hyperandrogènes de faire baisser leur taux de testostérone par un traitement hormonal pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. Ce que refuse Caster Semenya, privée ainsi de courir sa distance fétiche.
- "Traitement nocif et inutile" -
La Sud-Africaine, qui ne s'est pas exprimée à l'audience, a dû choisir entre "sauvegarder son intégrité et sa dignité personnelles tout en étant exclue de la compétition" ou "subir un traitement nocif, inutile et soi-disant correctif", a exposé Me Jolly.
L'avocate a répété lors de l'audience que "mademoiselle Semenya est une femme. A sa naissance, on lui a assigné le sexe féminin, légalement et dans les faits.".
Révélée au grand public aux Mondiaux de 2009 à Berlin, Caster Semenya y avait remporté la médaille d'or du 800 mètres mais son apparence physique et sa voix grave avaient suscité débats et spéculations.
L'athlète avait été interdite de compétition pendant 11 mois et contrainte de subir des tests médicaux dont les résultats sont restés secrets, avant d'être finalement autorisée de nouveau à courir en juillet 2010.
Mais en 2018, le règlement de World Athletics avait changé la donne.
Ce règlement a été validé par le Tribunal arbitral du sport (basé en Suisse) en 2019, puis confirmé par le Tribunal fédéral de Lausanne, qui a mis avant en 2020 "l'équité des compétitions" comme "principe cardinal du sport", au motif qu'un taux de testostérone comparable à celui des hommes confère aux athlètes féminines "un avantage insurmontable".
Les recours de l'athlète sud-africaine contre ces deux institutions ont été rejetés mais elle a obtenu gain de cause devant la CEDH le 11 juillet dernier.
La cour, qui veille au respect de la Convention européenne des droits de l'homme, a estimé que Semenya avait été victime de discrimination et d'une violation de sa vie privée.
Cependant, les autorités helvètes, appuyées par World Athletics, ont saisi la Grande chambre de la CEDH, sorte d'instance d'appel.
Lors de l'audience qui a duré trois heures mercredi matin, Adrian Scheidegger, représentant le gouvernement suisse, a plaidé l'irrecevabilité de la requête et affirmé qu'il n'y avait pas eu violation des articles 8, 13 et 14 de la Convention des droits de l'homme relatifs à la discrimination et à la vie privée.
- Fardeau financier -
La Cour ne rendra pas sa décision avant plusieurs mois.
Avant l'audience, Caster Semenya s'était dit "confiante", selon un communiqué transmis par ses avocats.
"C'est un jour important dans mon parcours en tant qu'être humain et athlète", avait-elle souligné.
Si l'arrêt rendu par la CEDH en juillet avait constitué une première victoire pour Caster Semenya, il n'a toutefois pas invalidé le règlement de World Athletics et n'a pas ouvert directement la voie à une participation de Semenya sur 800 m sans traitement.
World Athletics a même durci en 2023 son règlement concernant les athlètes hyperandrogènes, qui doivent désormais maintenir leur taux de testostérone sous le seuil de 2,5 nanomoles par litre pendant 24 mois (au lieu de 5 nanomoles pendant six mois) pour concourir dans la catégorie féminine, quelle que soit la distance.
Ce long feuilleton judiciaire a un coût financier énorme pour Caster Semenya, qui n'a plus couru depuis mars 2023 et a lancé en février un appel aux dons.
Ses conseils sud-africains, qui travaillent bénévolement, avaient estimé que les coûts d'audience pourraient s'élever à quelque 170.000 euros.
A.Wyss--NZN