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Quelques mots seulement pour caler une course bien droite, la voix et les claps des mains de son guide pour ne pas dévier: pour Delya Boulaghlem, sauteuse en longueur non-voyante, tout est une histoire de repères sonores.
Quand la musique s'échappe d'un téléphone placé au sol pour retrouver ses marques, Delya Boulaghlem s'accroupit, vérifie qu'elle se trouve au bon endroit, se relève, sur la piste de la Halle Stéphane Diagana à Lyon où elle s'entraîne. Elle tend les bras face à ce bac à sable qu'elle ne voit pas, mais qu'elle sait face à elle.
"Ouais. Léger à gauche". Son guide et entraîneur au Lyon Athlétisme, Thomas Verro, la place dans l'axe. Elle s'élance. Pendant la course, il faut compter ses marques, et garder la concentration au rythme des tapements de mains du coach.
Jusqu'au début des Jeux paralympiques (28 août-8 septembre), l'AFP s'intéresse au parcours de plusieurs athlètes non-voyants et leur(s) guide(s), des spécificités de leur association, aux liens créés au quotidien.
Delya Boulaghlem a commencé l'athlétisme à 26 ans. Sprinteuse également, elle concourt en saut en longueur depuis 2020.
Dans sa catégorie paralympique, l'impulsion se fait sur une zone d'un mètre carré recouverte de chaux. La mesure se fait de la marque du pied jusqu'à la trace dans le bac à sable, contrairement aux valides qui doivent impulser sur "la planche".
"Le guide se place au niveau de la chaux, à l'extérieur en général, pour moi c'est plus à gauche parce qu'on a pris nos repères comme ça. Ensuite, il fait ce qu'on appelle la clap avec les mains, et on repère à la voix, parce que j'ai besoin des deux", explique l'athlète.
Dans le stade, en compétition, "c'est mieux qu'il y ait le plus bas niveau sonore possible", explique Delya Boulaghlem, même si c'est difficile à obtenir.
Thomas Verro, son entraîneur au Lyon Athlétisme, assure également le guidage depuis un peu plus de deux saisons, parce qu'il était difficile d'assurer la présence d'un guide distinct à tous les entraînements.
"C'est la particularité des guides: ils ne sont pas toujours disponibles exactement au même moment. On est tributaire de ça. S'ils sont athlètes à côté, ils ont aussi leurs compétitions ou leurs objectifs", souligne-t-il.
Outre sa double casquette avec Delya, il s'occupe également de trois autres athlètes en tant qu'entraîneur ce matin à la salle d'entraînement. "Ça demande un peu de logistique", reconnaît-il.
- Travail de confiance -
Pour Delya Boulaghlem, la relation avec le guide sur le saut en longueur est "un travail de confiance".
"Mon entraîneur me connaît, il m'entraîne et me guide depuis un moment donc il a l'habitude: quand il y a une déviation, il n'y a pas de panique, tout va bien, il peut me ramener", dit l'athlète de 34 ans.
"La confiance est vraiment primordiale dans le saut en longueur", explique-t-elle.
Aux Championnats d'Europe, en 2021, elle a pris la 4e place du concours de saut en longueur et remporté la médaille d'argent sur 200m en catégorie T11 et la médaille de bronze sur 100m T11.
A quelques mois des Jeux paralympiques, Delya Boulaghlem essaie de décrocher sa qualification et sait déjà que son guide à l'entraînement ne sera pas forcément son guide en compétition.
Il lui faudra, quoiqu'il arrive, parvenir à "lâcher les freins" dans une catégorie où tout est minutieusement calculé: course, impulsion dans la zone délimitée, puis un atterrissage qu'il est difficile d'anticiper quand on ne voit pas le sable.
"Quand on court, c'est plus l'athlète qui a besoin d'avoir confiance en son guide", remarque Thomas Verro. Mais dans le saut, il faut aussi que le guide ait confiance dans ses propres indications.
"Si tu doutes, l'athlète va le ressentir directement, dans la voix, les hésitations... Et là ça peut le braquer, ou le stopper totalement", constate l'entraîneur-guide.
O.Meier--NZN