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Huit mille quatre cents spectateurs pour une finale de coupe locale entièrement amateur: pourtant orphelin de club professionnel chez les hommes, le rural département des Landes vibre comme probablement aucun autre pour le basket, nourri par d'ancestrales rivalités de villages.
"Je n'ai jamais vu ça, c'est énorme, c'est génial pour le basket français", s'émerveille Tony Parker, après un selfie devant des gradins bondés animés par les bandas, les fanfares du sud-ouest, des arènes de Mont-de-Marsan habituellement dédiées à la corrida.
En ce jour de juin, le meilleur basketteur français de l'histoire a fait le déplacement pour soutenir son ami et ancien équipier Boris Diaw, qui ferraille avec Biscarrosse sur un "parquet" de dalles plastiques assemblées sur le sable des arènes. Et vite recouvertes de confettis et papiers toilettes jetés par les supporters.
Avant de partir à la conquête des Jeux olympiques (26 juillet-11 août), l'actuel manager général des Bleus est sorti de sa retraite à 41 ans pour remporter son "Graal": la Coupe des Landes, de l'avis général une compétition "de clochers" à l'engouement "irrationnel", au point d'être considérée comme la plus populaire du basket amateur français.
- Catholiques contre laïcs -
Ce département rural de 423.000 habitants compte 23 licenciés pour 1.000 habitants, soit la plus forte proportion de basketteurs au sein de la population - à égalité avec le Maine-et-Loire et son porte étendard Cholet.
D'après la chercheuse en sciences sociales et historienne du basket Sabine Chavinier-Réla, ce succès à la campagne d'un sport à l'image urbaine s'explique par la concurrence, avant guerre, entre patronages catholiques et associations laïques, alors créateurs de clubs dans les zones "à déficit de population".
Dans les Landes, la balle orange, qui se joue à cinq contre cinq seulement, est à l'époque le seul sport au programme de la formation des instituteurs, qui le déploient dans chaque bourgade agricole de Chalosse, laissant le rugby qui nécessite 15 joueurs par équipe aux villes, raconte Francis Darricau, ancien dirigeant local.
Les matches organisés en extérieur, "sur de petits terrains dessinés à la chaux entre l'église et la mairie", sont alors utilisés par ces militants laïcs comme un moyen d'"éviter les petits verres de vin blanc du dimanche".
Très vite, les joutes entre clochers deviennent "un sujet d'actualité, de discussions et de fierté", énumère Mme Chavinier-Réla. En 1977 voit le jour une revue, Landes Basket Magazine, dédiée à l'actualité des équipes locales amateur - elle paraît aujourd'hui à plusieurs milliers d'exemplaires.
Pour Frédéric Fauthoux, actuel entraîneur de Bourg-de-Bresse et autre vainqueur de la Coupe des Landes (en 2010) avec le club de son enfance, "ici quand on joue pour son village, on le fait aussi pour le grand-père, le voisin, les anciens. Ça transcende, et quand les racines sont solides, la passion vit longtemps".
"Chaque village avait son super joueur... qui ne voulait jamais en sortir", sourit le septuple champion de France, citant l'exemple d'Olivier Leglise, un agriculteur qui marquait 40 points par match en championnat de France amateur dans les années 1990.
Emblème de Monségur (400 habitants), il refusa toujours de céder aux sirènes de Pau-Orthez, le voisin béarnais alors géant du basket français, qui le convoitait.
- Locomotive féminine -
Mais cet esprit de clocher - aujourd'hui amoindri par le regroupement de villages en associations "structurées", avec éducateurs salariés - et la faiblesse économique de la zone n'ont jamais permis de faire émerger un club professionnel chez les hommes, pointe M. Darricau.
Pire, le chauvinisme - la victoire de Diaw et ses coéquipiers a été accueillie par une immense bronca - peut être aussi porteur "d'un repli qui étouffe" ou d'"incivilités", notamment venant des parents dans les rencontres de jeunes, mettent en garde des membres du comité local de basket.
Alors, le basket landais mise sur les femmes. Bâti, avec des subventions, sur les fondations de l'équipe d'une commune de 350 habitants, le club de Basket Landes joue les premiers rôles en Ligue féminine. Il attire en 2016 la star Céline Dumerc, est champion de France en 2021 et se mue en "locomotive".
"On est devenu le seul département en France où le premier sport féminin est le basket", savoure Barbara Canlorbe, présidente du comité des Landes, quand l'équitation domine ailleurs les classements régionaux des licences sportives chez les femmes.
W.Vogt--NZN