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Bientôt, un algorithme pour diagnostiquer sa dépression? Applis pour gérer son stress, casques de réalité virtuelle pour soigner les phobies... Le numérique arrive dans la santé mentale, un secteur qui manque cruellement de moyens en France.
Le nombre de nouvelles applis se multiplie, parfois à la frontière entre bien-être et thérapeutique, de l'accompagnement de l'arrêt du tabac à des soins plus spécifiques: par exemple, pour les personnes souffrant d'anxiété sociale, un jeu virtuel les amène à se confronter à la foule.
"Le traitement médicamenteux n'est pas une finalité en soi: ce qui aide les patients, c'est le lien social, le fait de retrouver une activité. Et les applis peuvent aider à cela", déclare la psychiatre Déborah Sebbane, directrice du Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la recherche et la formation en santé mentale.
"Aujourd'hui, le numérique se retrouve dans le domaine du soin, du dossier patient, des outils de +self help+, de la recherche d'informations sur internet. Il y a plus de 10.000 applis au monde", énumère-t-elle, notant "une volonté des tutelles très forte pour enclencher le numérique en santé".
Ainsi, le gouvernement a lancé en octobre la stratégie d'accélération Santé numérique, dotée de 650 millions d'euros. Le secteur a commencé à se structurer, et le collectif MentalTech, qui regroupe sept start-up dans la santé mentale, a été lancé en mars.
- Soignants et machines -
Face aux listes d'attente à rallonge avant d'obtenir un rendez-vous chez le psy, "il y a urgence à trouver de nouvelles solutions", explique la psychiatre Fanny Jacq, directrice santé mentale pour l'entreprise de téléconsultation Qare, à l'initiative du collectif.
"Le numérique est une chance, l'idée est de déployer des solutions éthiques et de les mettre en avant", explique la cofondatrice de l'appli de "soutien psychologique" Mon Sherpa. "L'offre est large, mais les gens s'y perdent un peu". L'idée du collectif est de guider les utilisateurs, ajoute-t-elle, se défendant de vouloir remplacer le soignant par des machines.
Parisanté Campus, un lieu qui vise à réunir divers acteurs de la recherche en santé, récemment inauguré dans la capitale, accueille lui aussi des start-up du secteur. Pour son directeur général, le professeur de médecine Antoine Tesnières, "ces initiatives vont avoir de la valeur si elles s'inscrivent dans une approche globale".
Parmi les jeunes pousses hébergées, on trouve notamment ResilEyes Therapeutics, qui développe des solutions pour les victimes de stress post-traumatique.
Son dirigeant, Yannick Trescos, se veut réaliste: "Le numérique ne résoudra pas tout, il est hors de question de remplacer un psychologue ou un professionnel de santé". La start-up travaille sur des programmes thérapeutiques, adossés à du suivi plus classique, et vise à terme un remboursement par la sécurité sociale.
- Clics et diagnostic -
Les outils sont variés et parfois déroutants: une équipe américaine a ainsi développé un coach de santé mentale, Woebot, qui, selon le site, permettrait de former "un lien thérapeutique" sans thérapeute humain en trois à cinq jours.
Les psys du futur seront-ils des robots, capables de diagnostiquer, voire de prévenir? Il existe ainsi des recherches sur le phénotypage numérique en santé mentale. Cela consiste pour nos ordinateurs à déduire notre état mental présent et futur, à partir de nos clics sur le web, ou en utilisant les données relevées par nos objets connectés.
"Qu'arrivera-t-il à quelqu’un dont les données suggèrent qu’il recevra un diagnostic de psychose à 90% de certitude au cours des six prochains mois?", interroge le professeur de psychiatrie allemand Gerhard Gründer sur le site Mind.
Quant au caractère scientifique des applis, c'est un peu le Far West, reconnaissent certains acteurs. "Il y a une grosse opacité sur ce sujet", souligne Yannick Trescos. "Peu d'applis ont une validité clinique". Son entreprise, ResilEyes Therapeutics, veut entamer des essais cliniques cette année.
Se pose, enfin, la question de la confidentialité des données. Les données de santé doivent être hébergées par un organisme dûment certifié mais ce n'est pas le cas des données "émotionnelles", relève Yannick Trescos. Une question majeure, selon les spécialistes interrogés, qui plaident pour une meilleure information des patients usagers.
W.O.Ludwig--NZN