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Le 24 juin 1982, Jean-Loup Chrétien décollait de Baïkonour pour rejoindre la station spatiale soviétique Saliout. Il devenait le premier Français à voler dans l'espace, ouvrant la voie, en plein regain de Guerre froide, à une intense coopération scientifique entre Paris et Moscou.
Sa mission s'appelait "PVH" ("premier vol habité"): un séjour de huit jours en orbite à bord de Saliout 7, ancêtre de la station Mir.
Hôte de l'équipage permanent, Jean-Loup Chrétien était le premier visiteur étranger à ne pas venir d'un pays communiste, et le premier spationaute Français.
Tout un symbole. Mais lui avait la tête ailleurs le jour du décollage depuis le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan. "Vous ne pensez pas à ça. Mon état d'esprit, c'était la fin d'une épreuve de patience, l'aboutissement d'un rêve... et tellement d'excitation", raconte à l'AFP l'ex-astronaute, aujourd'hui âgé de 84 ans.
Il se souvient de ce "moment choc" où s'est élancée la fusée Soyouz, à bord de laquelle il s'était installé avec Alexandre Ivanchenkov et Vladimir Djanibekov. "Après deux ans d'entraînement, deux semaines de quarantaine... Tout est allé si vite !"
"En moins de dix minutes, je me suis retrouvé en orbite, je découvrais les charmes de l'apesanteur. Par le hublot, j'ai vu la Terre... c'était un spectacle inoubliable", confie-t-il, encore ému.
- Rêve d'enfance -
Pilote de chasse, il avait alors 44 ans. Enfant, le terrain d'aviation de Morlaix (Finistère), près duquel il habitait, avait fait naître en lui une "fascination pour la 3e dimension".
Les albums de Tintin "Objectif Lune" et "On a marché sur la Lune" ancrent cette passion pour le ciel. Et quand Youri Gagarine devient le premier humain à voler dans l'espace (1961), l'étudiant à l'Ecole aéronautique de Salon-de-Provence se fixe l'ambition de devenir astronaute.
Mais l'Armée de l'air ne le retient pas dans sa sélection. "A 41 ans, j'étais trop vieux". Il se présente alors en candidat libre, franchit les différentes étapes, et est "agréablement surpris" d'être finalement retenu par le CNES (Centre national d'études spatiales) pour préparer la mission franco-soviétique, avec Patrick Baudry en doublure.
"PVH" marque l'aboutissement d'une volonté française de coopérer avec l'URSS impulsée par De Gaulle, qui en 1966 fut le premier chef d'Etat occidental à se rendre à Baïkonour, dans un contexte de détente, explique Lionel Suchet, directeur-général de l'agence spatiale française.
- Secret soviétique -
Mais quand Jean-Loup Chrétien démarre son entraînement à la Cité des étoiles près de Moscou, les relations Est-Ouest se sont de nouveau tendues avec la guerre d'Afghanistan: "Sitôt arrivés, l'ambassadeur de France nous a dit +tenez-vous prêts à repartir+".
"C'était une période compliquée. Côté URSS, tout était secret. Jean-Loup et Patrick en ont souffert, ils ont été entraînés de manière +étanche+, sans contact avec leur base arrière en France", souligne Lionel Suchet.
Côté français, "les techniciens du CNES avaient affaire à des interprètes russes qui étaient en fait des ingénieurs déguisés et n'avaient pas le droit de donner des informations. A l'inverse, ceux qui avaient le droit de nous parler n'y connaissaient rien... Tout était extrêmement lent, alors qu'on partait d'une feuille blanche sur les vols habités".
- "Défricheur" -
Heureusement, raconte Jean-Loup Chrétien, "sur place on eu affaire à des gens extraordinaires qui ont tout fait pour que ça se passe bien".
Tissant des liens étroits avec les Russes, avec "diplomatie", le spationaute "a joué un rôle de défricheur. On lui doit beaucoup", salue Lionel Suchet.
C'est sur ces bases que Paris et Moscou ont pu construire une coopération spatiale, qui s'est accélérée au début des années 1990. "Avec la chute du mur de Berlin, on a enfin vu les personnes avec qui on travaillait de façon cachée. Ce fut une révélation pour nous comme pour les Russes, qui depuis Gagarine faisaient des choses extraordinaires sans pouvoir les partager", selon le responsable du CNES.
Scientifiques et techniciens des deux pays ont travaillé des années en "symbiose" sur les vols habités. Cette période a connu son apogée au début des années 2000.
En raison de l'invasion russe de l'Ukraine, la célébration du 40e anniversaire du vol de Jean-Loup Chrétien, vendredi au CNES, se fera sans son ancien équipage, regrette l'agence spatiale.
"C'est triste", commente Jean-Loup Chrétien, quotidiennement en contact avec ses anciens collègues et amis russes.
Après "PVH", il n'a cessé de vouloir retrouver les étoiles. Allant jusqu'à convaincre Mikhaïl Gorbatchev en personne de l'intérêt de renvoyer un Français dans l'espace, où il a comptabilisé 43 jours.
Depuis, neuf astronautes Français y ont effectué des missions.
I.Widmer--NZN